3 questions clés sur l’investissement responsable


26 octobre 2022

L’investissement responsable et les pratiques ESG sont aujourd’hui des sujets incontournables dans le secteur des placements. Il existe toutefois des idées préconçues sur ces pratiques et leur rôle dans le processus d’investissement.

Pour rétablir les faits, Sue McNamara, nouvelle chef de l’investissement responsable chez Beutel Goodman, et Marcia Wisniewski, vice-présidente du Groupe attitré à la clientèle privée, discutent des trois questions fondamentales suivantes :

  1. Les pratiques ESG font depuis peu l’objet de manchettes défavorables : selon vous, d’où vient ce désenchantement?
  2. Qu’est-ce que l’investissement responsable pour Beutel Goodman, et comment le cabinet intègre-t-il les pratiques ESG dans son processus d’investissement?
  3. Appliquez-vous les principes ESG de la même manière dans vos stratégies de titres à revenu fixe que dans vos stratégies d’actions?

 

Enregistrement réalisé le 20 octobre 2022. L’enregistrement est en anglais. La transcription ci-dessous a été modifiée pour plus de clarté.

Note: Les renseignements contenus dans ce commentaire ne constituent pas des conseils juridiques, financiers, comptables, fiscaux, liés aux placements ou autres, et ne doivent pas servir de fondements à de tels conseils. Il ne s’agit pas d’une invitation à acheter ou négocier des titres. Beutel, Goodman & Company Ltée ne cautionne ni ne recommande les titres dont il est question dans le présent commentaire.

 

Marcia Wisniewski : Bienvenue à ce nouvel épisode de la série « 3 Questions Clés ». Aujourd’hui, nous abordons trois questions fondamentales sur l’investissement responsable. Merci à toutes et à tous de vous joindre à nous.

Nous tenons d’abord à souligner que les terres sur lesquelles nous sommes rassemblés font partie du territoire traditionnel des Mississaugas de la Première Nation de Credit, des Anishinabés, des Chippewas, des Haudenosaunees et des Wendats. Ce territoire abrite aujourd’hui divers membres des Premières Nations et des communautés inuites et métisses.

Nous reconnaissons également que Toronto est visé par le Traité 13 signé avec la Première Nation des Mississaugas de Credit, et par les traités Williams signés avec de multiples bandes des Mississaugas et des Chippewas.

Ici Marcia Wisniewski, vice-présidente du Groupe attitré à la clientèle privée chez Beutel Goodman. J’aurai aujourd’hui le plaisir de discuter avec Sue McNamara de nos trois questions clés. Sue est chef de l’investissement responsable et chef de l’analyse du crédit au sein de l’équipe des titres à revenu fixe, toujours chez Beutel Goodman. Elle travaille au cabinet depuis 2006 et compte 25 ans d’expérience dans le secteur des placements. Elle est diplômée de l’Université Western Ontario et détient le titre d’analyste financière agréée (CFA).

Après les trois questions clés, il y aura une courte période de questions avec Sue, et nous vous invitons à contribuer en écrivant vos questions dans la section prévue à cet effet en bas de l’écran.

De manière générale, les stratégies d’investissement responsable consistent à tenir compte des critères ESG (c’est-à-dire environnementaux, sociaux et de gouvernance), en plus des indices financiers plus traditionnels, dans l’évaluation des possibilités d’investissement.

C’est dans cette optique que j’aimerais aborder la première de nos trois questions clés, à savoir :

 

Les pratiques ESG font depuis peu l’objet de manchettes défavorables : selon vous, d’où vient ce désenchantement?

 

Sue McNamara : Très bien, merci. C’est une excellente question pour commencer. À bien des égards, l’été dernier a été marqué par une vague de mécontentement contre les pratiques ESG. Ces pratiques sont depuis attaquées sur plusieurs fronts, que j’essaierai de résumer sommairement dans les prochaines minutes. À mon avis, un des problèmes majeurs, c’est la définition en soi des pratiques ESG. Comme elle couvre un champ très large, elle peut englober des styles d’investissement complètement différents – comme le désinvestissement et la sélection négative, ou encore l’intégration à l’investissement d’impact –, et je pense qu’il y a beaucoup de confusion quant aux types d’investissement ESG possibles.

Commençons donc par ce qui a fait couler tant d’encre dans le milieu de la gestion d’actifs, soit l’appréhension des fonds d’écoblanchiment. Des enquêtes sont en cours en Europe, ainsi qu’aux États-Unis par la SEC, et nous savons que les organismes de réglementation des valeurs mobilières du Canada se penchent aussi sur le dossier. En effet, si vos fonds d’investissement sont étiquetés comme ESG, durables, responsables ou quelque chose du genre, les organismes de réglementation vont vérifier que vous dites la vérité. Par exemple, si vous affirmez détenir des fiches d’information ESG sur chaque entreprise de vos portefeuilles, ces organismes ont le droit de vous les demander.

Autrement dit, ils recensent vos objectifs d’investissement pour ensuite vérifier que vous effectuez vraiment le travail qui s’y rattache. Il y a d’ailleurs déjà des cas notoires. Nommément, DWS a écopé une amende; la police a perquisitionné ses bureaux en Europe. Certains fonds de Goldman Sachs et de la Bank of New York Mellon se sont aussi fait pointer du doigt [par des organismes de réglementation]. C’est ce qui explique les nombreuses manchettes, mais d’une manière, je pense que tout cela joue en faveur des investisseurs ESG.

Ce que je veux dire, c’est qu’il est temps de renforcer leur confiance dans les investissements ESG. Grâce aux réglementations, une fois qu’un fonds a subi ces examens, on peut raisonnablement croire en ses attributs de responsabilité sociale ou de durabilité : on sait qu’ils ont été vérifiés par un organisme de réglementation et que le fonds est assez fiable pour qu’on y investisse.

Un autre cas notoire se trouve du côté des États-Unis, où plusieurs États essentiellement républicains ont décrié les pratiques ESG en avançant qu’elles ne faisaient pas partie des obligations fiduciaires d’un gestionnaire d’actifs. Par exemple, au Texas, des gestionnaires d’actifs ont été bannis parce qu’ils se gardaient d’investir dans les carburants fossiles. Et en Floride, certains ont affirmé qu’ils n’engageraient aucun gestionnaire de placements qui donne une quelconque place aux principes ESG dans ses analyses.

Donc le nœud de l’affaire, selon moi, c’est que l’on se méprend sur les différents constituants des pratiques ESG. On devrait savoir, au Texas, que ces pratiques ne mettent pas toutes un trait sur les carburants fossiles. En fait, je pense que le désinvestissement des carburants fossiles est en recul au profit de stratégies d’engagement et d’intégration. Je comprends que pour ces États républicains, la seule chose qui devrait compter, c’est le rendement par rapport à un indice de référence, et les facteurs ESG n’auraient pas leur place dans ce type d’analyse. Mais cette réaction vient peut-être d’une mauvaise compréhension des pratiques ESG. Il ne s’agit pas d’investir exclusivement selon ce qui semble le mieux pour la planète; ça, c’est l’investissement d’impact. Il s’agit plutôt de s’intéresser aux facteurs ESG dans une optique de risques et d’occasions. Et je dirais que cette pratique s’inscrit très bien dans les obligations fiduciaires parce que les entreprises aux mauvais résultats ESG sont très peu susceptibles d’ajouter de la valeur à un portefeuille.

J’aurais une dernière chose à dire à ce sujet. Certains États avancent que les questions environnementales, sociales et de gouvernance sont du ressort du gouvernement. Nous ne serions probablement pas là où nous en sommes aujourd’hui, à compter sur le privé pour défendre l’environnement, si les pouvoirs publics avaient fait un bon travail dès le début… Ils ne respectent même pas leurs engagements au titre de l’Accord de Paris. Les gouvernements ne sont donc pas suffisants à cet égard. Leur apport restera intéressant et continuera de faire la une aux États-Unis, mais à mon avis, il faut faire en sorte que le marché comprenne beaucoup mieux ce qu’il se passe qu’à l’heure actuelle.

Autre sujet très marquant cette année : l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Elle a soulevé deux critiques sur l’étiquette ESG. Je dois d’abord dire que j’ai été profondément déçue de voir, après l’invasion, le nombre de fonds autoproclamés ESG, responsables ou durables qui détenaient en fait des obligations souveraines russes. Je pense que c’est assurément un problème dans le secteur. Une partie du volet social – le « S » dans « ESG » – consiste à investir dans la gouvernance et dans les gouvernements et autres administrations souveraines qui donnent l’impression, par leur adhésion au Pacte mondial des Nations Unies, d’avoir un certain respect pour leurs citoyens et leurs droits. Je crois pourtant qu’on a le droit de s’interroger sur le respect de la Russie envers ses citoyens. En somme, l’invasion a d’une certaine manière entaché la marque ESG à cause des obligations souveraines russes détenues par ces types de fonds.

Deuxièmement, elle a semé un problème plus grave et plus durable. L’Europe est une figure de proue des pratiques ESG, mais aussi une consommatrice d’énergie, et de nombreux pays, privés de l’approvisionnement russe de gaz naturel et de pétrole, sont contraints de reculer dans certaines de leurs politiques sur l’énergie renouvelable. Ils cherchent maintenant d’autres sources de pétrole brut ou ils se tournent vers le nucléaire, ou pire encore, vers le charbon. Et n’est-ce pas là la direction contraire à celle du « E » dans « ESG »? Je le crois bien; en même temps, je n’ai jamais pensé que le chemin vers la carboneutralité serait un long fleuve tranquille, que nous serions capables de réduire nos émissions de GES de 8 % chaque année et d’atteindre l’objectif en claquant des doigts.

On a toujours su que le chemin allait être semé d’embûches. Donc oui, à court terme, nous faisons sans doute un pas en arrière; mais à long terme, nous convaincrons probablement les gouvernements européens de mettre les bouchées doubles au chapitre de l’énergie renouvelable, d’accélérer l’adoption et l’amélioration des technologies de batteries pour stocker l’électricité plus efficacement, de s’intéresser aux carburants de remplacement… Espérons que ce pas en arrière servira à prendre un meilleur élan.

J’aimerais aussi parler des critiques sur les agences de notation ESG indépendantes. Il y en a beaucoup, dont MSCI, Sustainalytics, S&P, ISS, Bloomberg et CDP, et elles reçoivent une pluie de critiques, et leurs cotes sont très différentes. Comment une entreprise peut-elle être très bien notée par une agence et très mal notée par une autre? Je pense que les cotes dépendent en grande partie de ce que les agences évaluent. Évaluent-elles les entreprises en fonction des informations qu’elles publient, ou selon la qualité de ces informations? Ont-elles une pondération distincte pour les entreprises de sécurité des données, ou encore pour les sociétés comme Telus qui conservent beaucoup de renseignements sur les clients? Une des agences de notation accorde beaucoup d’importance à la protection des données, et une autre, à la gouvernance, d’où la dissemblance des cotes. À mon avis, c’est ce qui explique la disparité, et c’est aux investisseurs de comprendre les différences entre les critères et les activités de chaque entreprise.

Nous avons beaucoup d’expérience dans les titres à revenu fixe, et nous ne fions jamais aveuglément à une cote de crédit pour évaluer une entreprise. C’est la même chose avec les notations ESG. Il faut toujours faire ses devoirs et prendre le temps d’effectuer les contrôles diligents qui s’imposent. Les cotes sont un outil qui peut être utile dans les analyses, mais elles ne sont pas suffisantes à elles seules, et pour certains FNB passifs qui se basent sur une cote, c’est un risque. Il pourrait en effet y avoir des problèmes avec la cote ou son mode de notation. La question sera alors de savoir si le FNB atteint vraiment les objectifs qu’il vous avait annoncés.

La liste est longue et je pourrais sûrement parler d’autres problèmes qui entachent l’ESG. Mais le concept est encore assez nouveau. Il évolue encore; ce n’est pas la fin, et il s’agit davantage d’une crise de croissance pour ce type de stratégie. Et je pense qu’en toute chose, le savoir confère le pouvoir. Plus on est à le comprendre, mieux c’est. Avec les catastrophes naturelles des dernières semaines et des derniers mois, comme les feux de forêt et les ouragans, on ne peut pas prétendre que le « E » (volet environnemental) ne mérite aucune considération.

Il y a aussi le volet « S » (social). J’ai l’impression que beaucoup font peu de cas du « S », et ne voient que le « E » de l’environnement qu’ils associent automatiquement aux émissions. Mais à mon avis, le « S » est important lui aussi. Une entreprise pourrait avoir la meilleure des empreintes écologiques et le meilleur des plans pour devenir carboneutre d’ici 2050, mais avoir un bilan « S » épouvantable : bilan désastreux en matière de sécurité, recours à une main-d’œuvre enfantine ou à l’esclavage, etc. Elle pourrait aussi avoir bafoué les droits de peuples autochtones, métis ou inuits dans la poursuite de ses objectifs environnementaux. Ainsi, le volet social et l’idée d’une transition énergétique en règle vont de pair.

Selon moi, tout cela revient encore à la compréhension des investisseurs et des gestionnaires d’actifs. Les gestionnaires doivent définir clairement leur approche des facteurs ESG, la place qu’ils leur donnent et les processus connexes pour l’ensemble de leurs fonds. Quant aux investisseurs, ils doivent lire les objectifs établis pour bien comprendre ce que les gestionnaires d’actifs essaient de faire. Je pense qu’il peut y avoir des différences à cet égard. Par exemple, si les gestionnaires d’actifs intègrent les facteurs ESG comme nous le faisons, ils se penchent sur les risques et les occasions associés. J’ai l’impression qu’à la simple vue du sigle « ESG » et des gros titres, certains investisseurs se disent qu’ils contribuent au bien de la planète. Je pense qu’ils doivent aller plus loin dans leur analyse pour que les réalités ESG puissent progresser.

Marcia Wisniewski : Il faut donc éduquer et sensibiliser. Voici la deuxième question :

 

Qu’est-ce que l’investissement responsable pour Beutel Goodman, et comment le cabinet intègre-t-il les pratiques ESG dans son processus d’investissement?

 

Sue McNamara : J’ai effleuré le sujet au début en parlant des différents types d’investissement ESG. À Beutel Goodman, nous l’abordons sous l’angle de l’intégration. Nous ne sommes pas dans le désinvestissement, et nous ne voulons pas rester de simples spectateurs et nous contenter de dire que nous n’investirons plus dans les carburants fossiles ni dans des entreprises de ce genre. Notre approche, c’est d’intégrer les facteurs ESG dans nos recherches sur les entreprises. Nous nous intéressons autant aux risques qu’aux occasions. Notre cabinet est un investisseur actif, mais aussi un gestionnaire actif. Ainsi, dans nos investissements en actions, nous utilisons activement nos votes par procuration. Mais autant pour les titres à revenu fixe que pour les actions, ce sont l’engagement et la participation qui sont les clés de voûte de la réalisation de nos objectifs ESG.

À mon sens, si on désinvestit, qu’on se désengage, on n’a plus son mot à dire sur quoi que ce soit. On devient un observateur passif. Alors qu’en tant que gestionnaire actif, on est en face des équipes de direction, du conseil d’administration; on est de la conversation; on est assis devant ces équipes en tant qu’actionnaire important. Nous gérons des portefeuilles très concentrés du côté des actions, et aussi assez concentrés du côté des titres à revenu fixe. De ce fait, nous avons une influence considérable sur les entreprises dans lesquelles nous investissons. On peut entraîner des changements beaucoup plus efficacement en dialoguant avec ces entreprises qu’en les quittant.

Nous participons aussi à des projets collaboratifs. Notamment, Beutel Goodman est membre de Climate Action 100+, qui cible certains des producteurs d’émissions les plus importants au monde. Il est aussi l’un des membres fondateurs d’Engagement climatique Canada, qui applique les principes de Climate Action 100+ à la réalité canadienne. Le cabinet appuie en outre le GIFCC (Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques) et prévoit publier son premier rapport GIFCC avant la fin de l’année. Ainsi, il ne collabore pas que de son côté, il collabore aussi avec ses compétiteurs. L’union fait la force, et c’est donc par la force de l’union que nous changerons les choses.

Je pense qu’il est toujours préférable de donner l’exemple par l’action. Voici donc un exemple concret avec Suncor. Comme vous le savez peut-être, un investisseur activiste a dénoncé certaines pratiques de Suncor. Nous avons discuté avec le chef de la direction et le directeur financier à différentes occasions. Nous leur avons dit que nous étions d’accord avec certains points soulevés par cet investisseur actif. Suncor doit assurément améliorer son bilan en matière de sécurité. Elle promet depuis longtemps d’améliorer son efficacité, mais ses promesses sont restées sans suite. Cela dit, nous voulions aussi leur dire qu’en ce qui concerne les titres à revenu fixe, nous n’étions pas d’accord avec l’investisseur activiste, qui avançait qu’il faudrait émettre des obligations et utiliser le produit des émissions pour racheter des actions, augmenter les dividendes et faire plaisir aux actionnaires. Nous leur avons expliqué que cette stratégie n’était pas bonne pour nous en tant que détenteur de titres de créance, ni vraiment bonne pour les actionnaires. Nous avons donc travaillé ensemble sur la question des actions et des titres à revenu fixe.

Comme je l’ai mentionné, les votes par procuration sont très importants. Nous avons notamment tiré parti de ce pouvoir auprès d’AmerisourceBergen. C’est une longue histoire, mais en gros, en vertu de la législation sur les opioïdes, l’entreprise a fait l’objet de poursuites judiciaires et d’enquêtes et a dû payer des amendes. Elle a ensuite décidé de calculer la rémunération des dirigeants en excluant les sommes perdues à cause de ces poursuites et amendes. Nous sommes fortement en désaccord avec cette décision : les dirigeants doivent assumer les conséquences de leurs décisions et le fait que l’entreprise dans laquelle ils se trouvent et ses pratiques commerciales les exposent à des amendes. C’est tout cela qui doit être pris en compte dans le calcul de leur rémunération, et si leur prime s’en trouve réduite, eh bien tant pis.

Donc nous avons signifié notre désaccord au directeur financier. Nous en avons discuté avec le comité de la rémunération du conseil d’administration. Nous avons écrit une lettre au conseil tout entier, et nous nous sommes finalement abstenus de voter. C’est ainsi que l’on peut transformer des valeurs en gestes concrets. Les actionnaires détiennent le pouvoir ultime grâce au vote par procuration et peuvent ainsi exercer une influence. Voilà donc en quoi consistent les pratiques ESG de Beutel Goodman dans les grandes lignes.

Marcia Wisniewski : Excellent. Vous avez brièvement parlé des stratégies relatives aux actions et aux titres à revenu fixe, mais j’aimerais approfondir le sujet.

 

Appliquez-vous les principes ESG de la même manière dans vos stratégies de titres à revenu fixe que dans vos stratégies d’actions?

 

Sue McNamara : Je dirais qu’il y a trois différences principales. La première concerne les procurations. Malheureusement, du côté des titres à revenu fixe, on ne peut pas voter par procuration pour ce qui concerne la direction de l’entreprise; on peut voter par procuration lors d’une modification des clauses restrictives, mais c’est d’ordre procédural et cela n’a rien à voir avec l’exploitation de l’entreprise. Nous n’avons aucun pouvoir à cet égard. Notre principal outil, c’est vraiment notre engagement. Mais ce qui est bien avec les titres à revenu fixe, c’est que les entreprises ont tendance à émettre des obligations plus souvent que des actions, ce qui nous donne plus souvent l’occasion d’échanger avec la direction en tant qu’investisseur obligataire. Comme elles ont besoin de notre argent, elles doivent nous écouter, dans une certaine mesure. Ce à quoi on fait très attention avec les titres à revenu fixe en termes de gouvernance, c’est que la direction de l’entreprise maintienne un équilibre dans ses motivations entre les émissions de titres de créance et les émissions d’actions.

Les équipes ne sont pas rémunérées en obligations; la plupart sont principalement rémunérées en actions. Il est donc compréhensible qu’elles aspirent tout particulièrement à faire augmenter la valeur de leurs actions. Par conséquent, une bonne partie de nos interactions avec les équipes de direction consiste à leur assurer que nous comprenons leur volonté de faire monter la valeur des actions, puis à leur rappeler qu’elles doivent aussi prendre soin du bilan financier puisqu’il est tout aussi important. Il ne faut pas émettre des titres de créance si le produit de l’émission ne sert qu’à verser des dividendes ou à racheter des actions. Mon travail, ce n’est pas de prêter de l’argent pour enrichir les actionnaires aux dépens, possiblement, des détenteurs de titres de créance. Voilà donc une bonne partie de ce que nous faisons sur le plan des interactions.

Une autre petite différence entre les obligations et les actions, et c’est l’une des plus intéressantes à mon avis, c’est le concept de financement durable. Dans le marché des obligations, on peut acheter des obligations vertes, des obligations sociales, des obligations durables… On peut aussi acheter un produit relativement nouveau appelé « obligations liées à la durabilité » (sustainability-linked bonds, ou SLB). On peut participer directement à la transition énergétique en achetant des obligations dont le produit est intégralement utilisé à cette fin. Dans le cas d’une obligation verte, le produit pourrait par exemple financer des projets d’énergie renouvelable, ou encore l’installation d’éclairage DEL dans un bâtiment.

Certaines banques émettent des obligations sociales dont le produit crée un fonds de prêts destinés à des gens qui n’auraient pas nécessairement été prioritaires pour elles, comme les femmes entrepreneures, ou les entrepreneurs noirs, autochtones ou de couleur (PNADC). Ce type de programme de prêts peut être financé par des obligations sociales. Beaucoup de ces obligations sont émises par des entités souveraines ou des municipalités pour financer le logement abordable ou d’autres projets du genre.

Les obligations liées au développement durable sont intéressantes. L’idée, c’est que leur produit peut être utilisé à des fins générales. Mais la structure même de l’obligation est associée à un indicateur clé de performance. Par exemple, une entreprise peut avoir à réduire ses émissions de GES de X pour cent avant une date donnée. Ou encore elle veut diversifier son conseil. Un certain nombre d’indicateurs clés de performance (ICP) ont été établis par l’International Capital Markets Association, l’une des vigiles du secteur du financement durable. L’entreprise les met en place, et si elle n’atteint pas ses cibles à la date fixée, elle écope une pénalité qui s’applique de la date d’observation jusqu’au terme de l’obligation. La pénalité prend normalement la forme d’une augmentation du taux du coupon.

Je trouve que ces obligations sont intéressantes et qu’elles sont bonnes pour le secteur. Hélas, elles sont très critiquées dernièrement. Si les gestionnaires d’actifs peuvent parfois être blâmés, on s’est aperçu que des émetteurs avaient un peu abusé de ces obligations. Une récente étude de Bloomberg a analysé une centaine de financements de SLB, surtout en Europe parce que le Vieux Continent a un peu d’avance sur l’Amérique du Nord à ce chapitre. Il en est ressorti que la majorité des objectifs fixés étaient minimes ou non pertinents. Et dans certains cas, l’objectif était tout bonnement déjà atteint. L’astuce consiste à établir un objectif, disons, pour 2030, par rapport à une valeur de référence de 2019, ou 2022. On a alors une bonne idée de l’état d’avancement de l’entreprise. Certaines entreprises émettent des SLB alors qu’elles ont déjà atteint leur objectif, ce qui n’a aucun sens. J’ai travaillé très fort avec beaucoup de mes collègues à expliquer que les ICP doivent refléter un véritable enjeu pour l’entreprise émettrice. Dans le cadre d’une obligation émise en Europe, l’entreprise en question avait pris ses émissions de niveau trois comme indicateur, mais 98 % de son empreinte écologique venait de ses émissions de niveau un et deux. La réduction de ses émissions de niveau trois n’avait donc aucune importance; c’était bien de le faire, mais c’était insignifiant pour la transition énergétique et la décarbonation de l’entreprise. Les ICP choisis doivent être importants dans les activités de l’entreprise. Ils doivent être ambitieux. Les objectifs ne doivent pas être faciles à atteindre, et doivent vraiment représenter un changement. Ne choisissez pas non plus l’intensité énergétique comme objectif : visez la réduction absolue de vos émissions, parce que pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050, c’est cela qu’il faut réduire. Veillez d’ailleurs à ce que la date d’observation – à laquelle la pénalité peut commencer – ait du sens par rapport à la date de fin. L’intervalle doit être de quelques années, parce que s’il ne dure que quelques mois, quel est le but? D’ailleurs, une augmentation de 25 points de base du taux du coupon, ce n’est rien pour une entreprise qui touche un revenu de plusieurs milliards de dollars. Dans ce cas, qu’est-ce qui la motive? Je pense que les coupons doivent jouer un rôle beaucoup plus important.

Revenons aux problèmes de financement durable et à la gestion d’un fonds durable. Suivant la stratégie de BG relative aux obligations durables, nous n’achetons aucun titre simplement parce qu’il est qualifié de vert, de social ou de SLB. Non, on effectue les mêmes contrôles diligents que pour un prêt. Bien sûr, certaines entreprises ont émis des obligations vertes, et je n’ai rien contre cela, mais toutes leurs activités sont vertes. Elles n’ont pas besoin d’une obligation verte, toutes leurs activités le sont déjà. Je garderais ces entreprises dans mon portefeuille si leur qualité de crédit est bonne parce que j’aurais estimé que leurs activités sont vertes, comme un producteur d’énergie renouvelable, par exemple.

Il y a aussi des entreprises qui demandent une prime verte. L’idée, c’est que si une obligation est durable, sociale, ou verte, ou s’il s’agit d’une SLB, on peut l’émettre à un meilleur prix qu’autrement. Bon, c’est légitime dans une certaine mesure, mais la prime verte doit être méritée. Si la différence est ambitieuse, si elle est notable, je serais prête à payer une petite prime verte. Sinon, ou si vous faites déjà ce que vous dites que vous allez faire, ne demandez pas de prime verte. Je pense que cette nécessité d’aller plus loin dans les contrôles diligents pour le financement durable va faire bouger les choses sur le marché, et que les répercussions se rendront jusqu’aux courtiers en valeurs mobilières et aux émetteurs. J’ose espérer que cette pratique donnera une forte crédibilité au secteur.

J’aimerais aborder un autre point à ce sujet. Quand on construit un portefeuille consacré à la carboneutralité ou à la durabilité, il est vraiment facile de se contenter de sélectionner une poignée d’obligations intrinsèquement vertes et à faibles émissions, et le portefeuille paraît excellent par rapport à l’indice de référence. Mais contribue-t-il vraiment à la transition énergétique? Je pense surtout à l’Amérique du Nord, qui abrite principalement des producteurs d’énergie plutôt que des acheteurs. C’est pourquoi au début, il faut peut-être se salir les mains si l’on veut améliorer les choses, c’est-à-dire investir dans des producteurs de gaz naturel ou de pétrole brut, ou dans des entreprises du secteur intermédiaire qui transportent le pétrole, ou qui créent des solutions de captage et de stockage du carbone ou d’autres types de solutions. On peut investir dans ces entreprises si on a fait notre travail; si on a échangé avec elles; si l’on pense qu’elles ont un excellent plan pour devenir carboneutres pour 2050; si, en discutant avec elles, on constate qu’elles ont des cibles intermédiaires, que leurs cibles sont basées sur la science et que la rémunération de la haute direction est liée à ces cibles. Et si une entreprise semble être sur la bonne voie lors du contrôle diligent, mais fait fausse route par rapport à ses cibles lors des vérifications subséquentes, il doit alors y avoir des conversations difficiles, mais on doit être capable d’y investir malgré tout. En tant qu’investisseurs, nous avons en effet l’occasion de contribuer à la transition énergétique et à l’atteinte de la carboneutralité, ce qui implique parfois de se salir les mains un peu plus qu’on le voudrait.

Marcia Wisniewski : On apprend quelque chose de nouveau tous les jours… La prime verte, c’est très intéressant! Je tiens à vous remercier, Sue, d’entrer autant dans le détail et d’expliquer la réalité complexe de l’investissement ESG responsable.

Nous voici à la période de questions du webinaire. Nous avons reçu plusieurs questions de la part des auditeurs. Or pour des raisons de temps, je devrai n’en choisir que quelques-unes.

 

Y a-t-il des indices sectoriels pour l’investissement ESG, ou l’évaluation dépend-elle subjectivement de chaque investisseur?

 

Sue McNamara : Il existe des indices ESG de référence : Bloomberg publie un ensemble d’indices, FTSE aussi. Je crois toutefois que l’examen des indices exige autant de travail que l’examen d’un fonds avant un investissement. J’ai parlé des problèmes associés aux cotes ESG indépendantes; les agences déterminent discrétionnairement ce qui va dans l’indice. Par exemple, les indices de MSCI sont basés sur ses propres cotes, et les entreprises les mieux notées par MSCI figurent dans ses indices ESG Leaders. Par conséquent, les indices de référence sont imparfaits en ce qu’ils sont tributaires des critères de sélection et d’exclusion de leur agence. En ce qui concerne la stratégie de BG pour les obligations durables, nous avons décidé d’utiliser l’indice obligataire universel global FTSE, la référence par excellence pour les titres à revenu fixe, parce que certains indices obligataires sont exclusivement verts. Bon, je ne veux pas être évaluée en fonction d’un indice d’obligations vertes parce que je peux aussi acheter des obligations durables, des obligations sociales et des SLB. Donc nous surveillons les indices de références, mais il y a des choix dans tout cela. Et certains FNB sont basés sur ces indices, mais il faut comprendre les critères d’inclusion dans ces derniers.

 

Vu l’importance du secteur de l’énergie pour l’économie canadienne, quelles sont les conséquences du mouvement ESG dans le pays?

 

Sue McNamara : Intéressant. Le Canada s’inspire beaucoup de l’Europe, qui est le chef de file à ce chapitre, mais l’Europe importe de l’énergie tandis que le Canada en produit. Notre rôle n’est donc pas le même, mais ce n’est pas nécessairement une occasion manquée. Je pense au contraire que cette différence est une chance et même un avantage pour le Canada. Je reviens à mon commentaire sur la nécessité de se salir les mains. Nous pourrions être à l’avant-garde du captage et du stockage du carbone. Avec une technologie au point, nous pourrions être une figure de proue de l’hydrogène. Bien sûr, il reste beaucoup de chemin à parcourir, beaucoup de recherche technologique à faire. Pensons seulement à l’ampleur des investissements nécessaires pour parvenir à la carboneutralité d’ici 2050. On peut sans doute mélanger de l’hydrogène au gaz naturel jusqu’à, disons, 20 ou 30 %, mais pour aller plus loin, il faudrait remplacer tous les appareils ménagers par une variante qui fonctionne à l’hydrogène.

Et pour transporter de l’hydrogène par des pipelines, il faut de nouveaux pipelines, et une nouvelle manière de les utiliser. L’hydrogène est plus léger, plus rapide, plus inflammable. Pensons bien à tous ces microcosmes et à la quantité de dépenses en capital et en infrastructures requise pour la transition… Nous pouvons choisir d’investir dans de tels projets, de les financer en tant que chef de file, ou de ne pas le faire, faute d’un meilleur terme. Je pense que le Canada a un immense avantage, mais il doit bien faire les choses et serrer la vis pour que les entreprises ne se contentent pas de formuler une promesse creuse de carboneutralité pour 2050. Il faut qu’elles s’engagent vraiment et qu’on les pousse continuellement à progresser.

Marcia Wisniewski : Je pense qu’il nous reste du temps pour une toute dernière question.

 

Les facteurs ESG ne devraient-ils pas se limiter au « E », et précisément dans le sens d’« émissions »?

 

Sue McNamara : Je comprends cette réflexion. Quand on pense aux facteurs ESG, on pense à l’environnement, aux engagements de carboneutralité. Une portion démesurée de la conversation est consacrée au « E », puis on se rend compte qu’on oublie le « S » et le « G ». Mais prenons par exemple un projet d’infrastructures au Canada; il faut savoir que peu importe le lieu du projet, certains droits autochtones, métis ou inuits ou certains traités seront concernés. Ces derniers doivent être pris en compte dans les processus, les formations et le recrutement associés au projet. Le volet social englobe le traitement des travailleurs et la provenance des matières premières. Il s’agit par exemple d’éviter que la chaîne d’approvisionnement passe par des pays qui exploitent des esclaves ou des enfants.

Il faut tenir compte de cet aspect dans ses investissements parce que rien ne détruit plus la valeur d’une entreprise qu’une mauvaise presse ou qu’une controverse. Par exemple, quand le scandale de corruption de SNC a éclaté, la valeur de ses actions a chuté. Quand on a investi dans une entreprise après avoir interagi avec elle et l’avoir vérifiée, on ne veut surtout pas qu’elle fasse les manchettes à cause d’une affaire scabreuse. C’est pourquoi le volet social est loin d’être négligeable. La gouvernance est peut-être plus difficile à cerner parce qu’il faut l’analyser de toute manière, même sans pratiques ESG. Mais comme je l’ai expliqué tout à l’heure, le volet de la gouvernance consiste à être un investisseur actif qui tient compte des informations qu’il a trouvées, qui interagit avec les entreprises et qui vote par procuration.

Marcia Wisniewski : Merci, Sue, de nous avoir fait profiter de votre expertise sur ce sujet des plus importants.

Il y a un certain nombre de questions que nous ne pouvons pas aborder. Si vous êtes l’auteur de l’une d’entre elles, votre représentant de Beutel Goodman se fera un plaisir de faire un suivi avec vous. D’ailleurs, si vous voulez en apprendre davantage sur l’approche de Beutel Goodman en matière d’investissement responsable, n’hésitez pas à le dire à votre représentant afin de recevoir nos rapports périodiques à ce sujet.

Vous pouvez aussi visiter notre site Web au www.beutelgoodman.com. On y trouve aussi beaucoup d’informations. Merci d’avoir été des nôtres; je vous souhaite une excellente journée!

 

 

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Les renseignements contenus dans ce commentaire ne constituent pas des conseils juridiques, financiers, comptables, fiscaux, liés aux placements ou autres, et ne doivent pas servir de fondements à de tels conseils. Il ne s’agit pas d’une invitation à acheter ou négocier des titres. Beutel, Goodman & Company Ltée ne cautionne ni ne recommande les titres dont il est question dans le présent commentaire.

Certains passages du présent commentaire peuvent contenir des énoncés prospectifs. Les énoncés prospectifs comprennent des déclarations qui sont de nature prévisionnelle, dépendent de conditions ou d’événements futurs ou s’y rapportent, ou comprennent des termes tels que « s’attendre à », « anticiper », « avoir l’intention de », « planifier », « croire » et « estimer », et d’autres expressions prospectives similaires. De plus, toute déclaration portant sur le rendement, les stratégies et les perspectives ou sur des mesures pouvant être prises à l’avenir constitue aussi un énoncé prospectif. Les énoncés prospectifs reposent sur les attentes actuelles et les prévisions d’événements futurs et sont, de par leur nature, assujettis, entre autres, à des risques, incertitudes et hypothèses qui peuvent modifier de façon importante les événements, les résultats, le rendement ou les perspectives réels qui ont été énoncés de manière expresse ou tacite dans les énoncés prospectifs.

Ces risques, incertitudes et hypothèses comprennent notamment les conditions économiques, politiques et des marchés, à l’échelle nationale et internationale, les taux d’intérêt et de change, les marchés boursiers et financiers, la concurrence commerciale, les changements technologiques, les changements sur le plan de la réglementation gouvernementale, les décisions judiciaires ou réglementaires inattendues et les catastrophes. Cette liste de facteurs importants n’est pas exhaustive. Veuillez examiner attentivement ces facteurs et d’autres avant de prendre une décision de placement et évitez de vous fier indûment aux énoncés prospectifs. Beutel Goodman n’a pas l’intention de mettre à jour les énoncés prospectifs à la lumière de nouveaux renseignements, d’événements futurs ou autres.