Le 10 septembre 2019, James Black, vice-président, Actions canadiennes, a animé une discussion avec Bruce Flatt, chef de la direction de Brookfield Asset Management au sujet du dernier événement du forum d’experts Beutel Goodman. Bruce s’est joint à Brookfield en 1990 et a été nommé chef de la direction en 2002. Sous sa direction, l’entreprise a étendu ses activités à l’échelle mondiale, et est maintenant présente dans plus de 30 pays, ce qui lui donne un aperçu unique des nombreux problèmes auxquels le monde est confronté actuellement.
Brookfield Asset Management, une société qui gère un actif de plus de 350 milliards de dollars américains et investit dans l’immobilier, les infrastructures, les énergies renouvelables et le capital-investissement, constitue depuis plusieurs années un placement dans nos stratégies d’actions canadiennes. Ce qui suit est une transcription éditée d’un échange très intéressant qui couvre différents aspects de l’entreprise, de ses origines à ses récentes acquisitions en passant par les perspectives de Bruce sur l’économie mondiale.
Discussion avec Bruce Flatt
JAMES BLACK: Merci beaucoup et bonjour à tous! Nous sommes ravis que vous vous joigniez à nous aujourd’hui, Bruce. Pour tout vous dire, Beutel Goodman détient des actions de la société depuis 2014 et il y a 12 ans de cela, j’ai été un employé de Brookfield Asset Management pendant environ deux ans et demi. Brookfield a largement contribué au rendement des placements de nos fonds et, surtout, à l’appréciation du capital des portefeuilles de nos clients. Alors Bruce, au nom de nous tous, merci.
JAMES BLACK: J’espérais que nous pourrions commencer par revenir un peu en arrière et parler des origines de Brookfield pour les personnes qui sont moins familières avec l’évolution de la société, qui était au départ un propriétaire d’actifs de différentes catégories et qui est devenue un propriétaire et un gestionnaire d’actifs.
BRUCE FLATT: Merci, James. Tout d’abord, je vous remercie tous d’être venus. Je suis fier que Beutel Goodman soit un investisseur dans Brookfield.
Pour ce qui est des origines de Brookfield, j’aimerais commencer par dire que parfois, on a de la chance en affaires. Un de nos employés a eu une idée très intéressante il y a 25 ans, et à ce moment-là, nous avons investi dans toutes les activités que nous privilégions aujourd’hui. Nous avons également investi dans beaucoup d’autres actifs, mais nous les avons cédés, car il s’agissait d’entreprises très volatiles liées aux produits de base qui affichaient de piètres rendements à long terme, même si elles avaient tendance à bien se porter si le moment de l’achat était bien choisi. Si vous investissiez dans ces entreprises en fonction du coût du capital, il était très difficile en tant qu’investisseur permanent d’obtenir un rendement sur une longue période.
Nous avons plutôt décidé de nous concentrer sur nos secteurs de base, qui sont les mêmes encore aujourd’hui : l’immobilier, les infrastructures, les énergies renouvelables et nos activités industrielles, que nous appelons le capital-investissement. Nous avons ensuite conclu que la seule façon légitime de faire progresser l’entreprise et d’atteindre l’envergure nécessaire était de trouver des investisseurs qui pourraient investir des capitaux de concert avec nous. Nous avons réfléchi à différents moyens d’y parvenir et nous avons eu une idée : si nous pouvions offrir ces produits à nos clients institutionnels, ils les placeraient dans leurs portefeuilles et nous pourrions leur procurer un rendement raisonnable. À l’époque, certains fonds concurrents investissaient directement dans l’immobilier, mais personne n’investissait dans les infrastructures ou les énergies renouvelables, et le capital-investissement commençait tout juste à faire son apparition dans les régimes américains par l’intermédiaire de certains des principaux acteurs du secteur.
Je dirais que c’est là que nous avons eu de la chance : au cours des 25 dernières années, les mandats institutionnels ont augmenté de façon exponentielle, tandis que les taux d’intérêt sont passés de 8,5-9 % à 1-2 %. Cette suite d’événements a permis à nos premiers investisseurs institutionnels d’obtenir de très bons résultats auprès de nous ainsi que d’autres gestionnaires qui offraient les mêmes types de produits non traditionnels. Cela leur a donné confiance pour continuer d’investir, mais surtout – et c’est pourquoi nous avons été chanceux – certains fonds institutionnels sont tellement importants maintenant qu’ils n’ont presque pas d’autre choix que d’investir dans des placements non traditionnels. Lorsque vous en arrivez à un point où vous ne pouvez plus dégager de profit d’un coupon à 2 % dans un fonds, car les coupons présentent des rendements négatifs, vous ne pouvez plus légitimement investir dans des titres à revenu fixe quand les taux sont négatifs. Chacun de nos clients japonais, coréens ou européens se trouve dans cette situation.
Cela se produit depuis 10 ans au Japon, et cela commence à se produire en Europe, alors les fonds seront investis ailleurs. Je ne suis pas macroéconomiste et je n’essaie pas de l’être, mais je pense que l’énorme pression sur les bons du Trésor américains à 30 ans et à 10 ans est causée par ces clients institutionnels qui font des transferts massifs de capitaux et ne savent plus où investir. En fait, il n’y a que trois façons d’investir tout cet argent : sur les marchés boursiers, ou au moyen de placements non traditionnels et de bons du Trésor américain. Les bons du Trésor américain affichent au moins un taux positif aujourd’hui, mais c’est effrayant de les acheter à 1 %—au mieux, vous obtiendrez 1 % pendant 30 ans, et si les taux grimpent à 2 %, vous pourriez perdre beaucoup d’argent.
Nous avons vraiment eu de la chance. Par nos activités d’exploitation, nous visions à réaliser des profits pour nous-mêmes—et c’est ce que nous cherchons encore à faire—mais maintenant, nous investissons pour le compte d’une très grande clientèle. Pour chaque transaction, environ 20 % des fonds proviennent de l’un de mandats discrétionnaires sur lesquels nous exerçons un contrôle et les 80 % restants, de clients institutionnels. Cela a constitué un grand changement pour l’entreprise; nous avons eu un parcours formidable. Nous avons obtenu un rendement composé d’environ 17-18 % depuis 20 ans, mais je crois que la vague de capitaux n’en est qu’à ses débuts.
JAMES BLACK: En plus des fonds privés et des clients institutionnels, vous disposez d’une deuxième source de capital de tiers : vos placements cotés en bourse avec vos quatre principaux partenaires de catégorie d’actifs, soit Brookfield Property Partners, Brookfield Infrastructure Partners, Brookfield Renewable Energy Partners et Brookfield Business Partners, votre fonds de capital-investissement coté en bourse. Quels rôles jouent-ils dans votre stratégie de gestion d’actifs?
BRUCE FLATT: Il y a 15 ou 20 ans, nous pensions avoir besoin d’un important accès aux liquidités, car ce que nous achetions, possédions, construisions et gérions avait une très grande valeur. Par exemple, la tour de Brookfield Place – que nous pouvons voir par la fenêtre – vaut entre 1,6 et 1,7 milliard de dollars. Nous avons examiné les sociétés en commandite principales des États-Unis et nous nous sommes demandé : « Comment pouvons-nous adapter ces modèles pour les rendre avantageux pour nos investisseurs? »
Nous avons établi nos quatre sociétés en commandite cotées aux bourses de New York et de Toronto au moyen de scissions. Brookfield Asset Management a conservé environ 30 à 40 % des actions des sociétés issues des scissions et a cédé le reste aux actionnaires existants, créant ainsi les partenariats permanents qui investissent aux côtés de nos clients institutionnels. Ces partenariats, à nos yeux, consistent à offrir à nos clients institutionnels une expertise en immobilier, en infrastructures, en énergie ou en capital-investissement; et nous offrons ce même service aux investisseurs individuels actifs sur le marché boursier grâce à ces instruments cotés en bourse. Nous disposons d’un pouvoir discrétionnaire sur les placements, tout comme avec nos clients institutionnels; cela nous permet de bénéficier d’une source de capital différente, ce qui nous permet d’accomplir plus de choses que la plupart des autres gestionnaires de placement avec lesquels nous sommes en concurrence. Ces véhicules de capital permanent nous donnent accès aux marchés financiers et nous aident à développer considérablement les affaires de l’entreprise. Ils sont actifs dans les mêmes secteurs que nos clients institutionnels.
JAMES BLACK: Pouvez-vous nous parler un peu de la stratégie de placement de Brookfield?
BRUCE FLATT: À notre avis, le capital d’une entreprise devrait soit avoir un avantage stratégique lorsqu’il est investi, soit être remis aux actionnaires pour qu’ils investissent ce capital dans des instruments qui comportent un avantage stratégique. Nous accordons beaucoup d’importance à la répartition du capital et, au cours des 25 dernières années, nous avons découvert trois éléments qui confèrent un avantage à notre capital :
- Grâce à nos clients institutionnels, à nos partenariats et à nos bilans, nous avons accès à plus de fonds que la plupart des gens dans le monde, alors une opération de 100 millions de dollars pourrait entraîner la participation de 35 investisseurs; une opération de 1 milliard de dollars, de 8 investisseurs; et une opération de 5 milliards de dollars, de 3 investisseurs. Parfois, ça pourrait être seulement 1 ou 2 investisseurs. C’est un avantage énorme, donc nous essayons de l’employer comme un avantage stratégique et nous avons atteint un point où la plupart de nos activités sont d’envergure.
- Nous avons des collaborateurs dans 30 pays qui s’assurent que nous pouvons nous en sortir en cas d’erreur. Nous savons comment faire entrer et sortir des fonds d’un pays. Nous connaissons la primauté du droit et savons si une nation respecte ou non le capital. Nous faisons affaire seulement dans des pays qui respectent nos critères rigoureux. Plus important encore, nous sommes des investisseurs axés sur la valeur, et la seule façon dont nous croyons pouvoir continuer de privilégier la valeur consiste à diversifier nos placements non seulement par industrie, mais également par pays, parce que les pays ne se comportent pas tous de la même façon en même temps. Cela nous permet de transférer des fonds dans les pays ayant besoin de capitaux et ainsi, les importantes sommes d’argent sur la marge sont toujours allouées aux pays axés sur la valeur.
- Nos partenaires stratégiques revêtent une grande importance et représentent 100 000 personnes qui travaillent pour Brookfield. Ils travaillent pour ces partenariats, et y demeurent. Ils sont des valeurs sûres pour nous. Cela nous permet de diversifier considérablement notre capital.
JAMES BLACK: Ce que nous trouvons intéressant à propos de Brookfield en tant que placement, c’est qu’à bien des égards, votre approche est axée sur la valeur à long terme – vous achetez des biens que vous pouvez, dans la plupart des cas, posséder pour toujours. C’est ainsi que nous voyons les placements. Nous avons un horizon de placement d’au moins 3 ans et nous voulons obtenir un rendement annuel de 15 % sur cet horizon avec de nouveaux placements. Brookfield possède une approche semblable, selon la catégorie d’actifs, mais elle recherche un rendement d’environ 15 % sur les actifs, au fil du temps. Il est donc très facile pour nous de détenir la société dans notre portefeuille, parce que nous comprenons la base selon laquelle les décisions de placement sont prises. J’adorerais entendre quelques histoires de guerre sur les placements, peut-être un placement qui a produit de meilleurs résultats que vous ne le pensiez et un autre qui n’a pas été à la hauteur de vos attentes, et les leçons que vous avez retirées de tout cela.
BRUCE FLATT: James, malgré des antécédents assez bons sur une longue période, je peux vous dire que nous avons commis beaucoup d’erreurs. Peut-être la leçon la plus importante que nous avons retenue de nos erreurs est de ne jamais mettre tous ses œufs dans le même panier, et si vous le faites, soyez très conscient de vos erreurs et tirez-en des leçons au lieu de les laisser tout détruire.
Ce qui nous importe le plus, c’est d’investir dans de nouvelles industries, de nouvelles entreprises ou de nouveaux pays. Et voici ce que j’ai à dire au sujet des entreprises canadiennes : il y a environ 30 ans, j’ai commencé à me rendre aux États-Unis pour développer nos activités. J’entendais des histoires d’horreur tragiques sur les entreprises canadiennes qui tentaient de percer le marché américain et qui ont échoué. Cela a grandement miné la motivation des équipes de direction à développer leurs activités aux États-Unis. Nous nous y sommes pris lentement et je pense que c’était vraiment important, parce que si vous essuyez un échec, même si cela ne nuit pas irrémédiablement à l’entreprise sur le plan financier, cela ébranle la confiance de l’équipe de direction ou du conseil. Et il faut des années ou des décennies pour que la situation revienne à la normale dans la culture organisationnelle. Pour nous, il est donc très important de ne pas faire de graves erreurs, bien que nous ayons commis bon nombre de petites erreurs.
Une erreur qui peut être pertinente pour certains d’entre vous est d’investir à l’étranger, même s’il s’agit simplement d’acheter des actions dans une devise étrangère. Souvent, les gens ne pensent pas à la devise; ils se pensent ingénieux d’avoir acheté des titres qui ont augmenté de 40 %, jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’une hausse de 40 % après une dépréciation de 40 % de la devise constitue en réalité une perte.
Nous étions établis au Brésil depuis longtemps, en raison de l’histoire de l’entreprise. Nous avons vendu beaucoup d’actifs entre 2005 et 2007, mais la crise financière est arrivée là-bas et nous avons doublé, voire triplé nos actifs. Nous avons acheté des actifs fantastiques – en fait, nous avons acheté la plupart de ces actifs à 25 cents pour un dollar, je dirais. La dépréciation de la devise a pris une tournure étonnante, mais nous nous en sommes bien sortis. Je ne suis pas sûr par contre que le risque que nous avons pris ait été compensé par le rendement que nous avons obtenu après la perte de change. Nous avons continué d’investir et d’accroître nos actifs, ce qui constitue, à mon avis, un principe important du placement axé sur la valeur; nous avons ainsi pu obtenir des rendements stupéfiants. Nous nous en sommes bien sortis dans l’ensemble, mais lorsqu’on investit sur les marchés internationaux, il est très important de prêter attention à la devise.
Généralement, dans la mesure du possible, nous couvrons nos actifs dans la plupart des devises en dollars américains, et ce, même si cela nous coûte cher. Nous traitons d’importantes sommes d’argent et les garanties liées aux couvertures de change sont en soi risquées, de sorte que la plupart des gens n’y prêtent pas attention. Nous passons beaucoup de temps à y réfléchir et nous avons énormément appris au fil des ans suite aux erreurs que nous avons commises sur ce plan.
JAMES BLACK: Par ailleurs, Brookfield a été en mesure de tirer parti des perturbations survenues à différents moments et de conclure des ententes marquantes qui vous ont permis de vous établir dans une nouvelle catégorie d’actifs ou qui vous ont aidé à atteindre une masse critique. Je pense notamment au World Financial Centre au début des années1990 et à Babcock & Brown après la crise financière dans le secteur des infrastructures. Pensez-vous que ce genre de perturbations pourrait se reproduire, et que Brookfield pourrait combler le vide?
BRUCE FLATT: Notre vision est toujours éclairée par ce que nous observons au sein de notre société. Dans l’ensemble, nous ne remarquons rien qui indique vraiment un effondrement total de la situation économique d’un pays, en particulier des États-Unis, qui continuent de faire bonne figure, même si certains font état de problèmes techniques. En général, l’économie mondiale se porte assez bien.
Malgré tout, nous sommes préoccupés, car la reprise économique dure depuis 11 ans, les marchés boursiers et les marchés obligataires ont atteint des sommets et le climat politique un peu partout dans le monde est tendu. J’ai l’avantage de voyager d’un pays à l’autre pour parler à nos employés, et chacun d’entre eux se concentre sur le contexte politique qui le concerne. Les signes semblent inquiétants, mais si nous investissons prudemment dans des secteurs plus défensifs qu’il y a cinq ans, ce n’est pas parce que nous avons remarqué des bouleversements potentiels. C’est parce que notre entreprise vise à assurer un rendement raisonnable à long terme et que les sommes considérables détenues visent à nous procurer du capital alors que d’autres n’en auront pas. Pour vous donner une idée, nous disposons de plus de liquidités que jamais et de plus de capital que jamais pour nos clients institutionnels. Nous avons également acheté Oaktree, un gestionnaire de titres de créance, et nous avons établi un partenariat avec ses fondateurs, parce que nous pensons que dans le futur, nos liquidités et nos relations, combinés à leur capital, nous permettrons de tirer le meilleur parti d’un ralentissement du marché.
JAMES BLACK: Dans les entreprises prospères, la culture est extrêmement importante, et Brookfield a toujours eu une culture d’engagement à l’égard de ses employés, investissant de façon judicieuse dans les actions de la société aux côtés de ses actionnaires. Selon moi, cela vous différencie des autres gestionnaires d’actifs où le personnel est temporaire et davantage axé sur la rémunération à court terme que sur la rémunération à long terme. Au fil de votre croissance, comment avez-vous réussi à conserver la même culture que celle qui était en place lorsque je travaillais pour l’entreprise? Comment intégrez-vous un nouveau placement, une nouvelle catégorie d’actifs, comme Oaktree, dans cette culture?
BRUCE FLATT: Il est plus difficile pour une organisation, lorsqu’elle prend de l’envergure, de conserver sa culture d’entreprise. Malgré tout, je pense que les avantages liés à la taille de l’entreprise l’emportent sur les inconvénients. Nous avons essayé de conserver nos principes, qui sont assez simples : prêcher par l’exemple, investir nos actifs aux côtés de nos partenaires et faire fructifier les avoirs de nos clients. Une chose que j’ai apprise dans la vie, c’est que si vous faites gagner de l’argent à vos clients, ils reviendront vers vous. Si on ne vous faisait pas gagner de l’argent, James, vous ne m’auriez probablement pas invité ici. Nous essayons de faire simple. Nos clients peuvent gagner beaucoup d’argent avec nous sur une longue période si la société génère d’excellents rendements.
En ce qui concerne Oaktree, l’entreprise est dirigée par Howard Marks—une légende en matière de placements dans les sociétés en difficulté. Avec Bruce Karsh, il a lancé l’entreprise il y a 24 ans et la dirige toujours; leurs résultats sont d’ailleurs exceptionnels. Nous leur avons rendu visite et leur avons dit que nous aimerions privatiser l’entreprise et devenir leur partenaire. Ils m’ont regardé et ils m’ont dit : « Ce n’est pas le bon moment pour vendre; nous ne voulons pas vendre », ce à quoi nous avons répondu :
« Non, non. Vous ne vendez pas, vous restez propriétaires. Si vous vendez, nous ne voulons pas acheter. »
Nous rachetons les titres du public, dans le cadre d’une offre réglée à hauteur de 50 % en numéraire et de 50 % en actions de Brookfield Asset Management, un type de transaction que nous concluons très rarement. Ils se joignent donc à nous et aux investisseurs du marché public, et Howard, Bruce et leur équipe de direction détiendront 40 % de l’entreprise suivant la clôture de la transaction, de sorte qu’ils demeureront très motivés à développer les activités de l’entreprise à nos côtés. En termes simples, grâce à notre aide, ils pourront en accomplir davantage avec ce qu’ils ont que ce qu’ils auraient pu réaliser par eux-mêmes.
JAMES BLACK: Et l’entreprise vous offrira-t-elle des relations clients intéressantes auxquelles vous n’avez pas accès actuellement?
BRUCE FLATT: Je pense que ce sera avantageux tant pour Brookfield que pour Oaktree. Nous avons une excellente plateforme pour les activités de financement au Moyen-Orient. Pour des raisons inhabituelles, nous investissons des capitaux pour pratiquement tous les régimes souverains et clients institutionnels dans tous les pays du Moyen-Orient. Et ils ont, j’en suis certain, moins de relations que nous là-bas; nous leur serons donc très utiles sur ce plan. Howard mobilise des capitaux aux États-Unis depuis longtemps et il a une feuille de route impressionnante. Je pense que son expertise nous aidera beaucoup. C’est pourquoi je pense que notre partenariat sera avantageux pour les deux parties, et que nous pourrons les aider à croître d’une façon qui n’aurait pas été envisageable sans notre soutien.
JAMES BLACK: Merveilleux. J’aimerais maintenant céder la parole à notre auditoire. Quelqu’un aurait-il une question pour Bruce?
Q1: Qui considérez-vous comme vos trois principaux concurrents?
BRUCE FLATT: Il y a des concurrents dans chacun des secteurs où nous évoluons, mais celui qui nous ressemble le plus, avec lequel nous sommes le plus en concurrence et qui est formidable du point de vue des activités de financement et de placement est Blackstone. L’envergure de l’entreprise est semblable à la nôtre, nous sommes à peu près de la même taille (notre capitalisation boursière est d’environ 50 milliards de dollars), et il n’y a que deux grandes plateformes immobilières dans le monde – la nôtre et la leur. Notre plateforme en infrastructures est très substantielle; la leur est petite, mais elle est en pleine croissance.
Un autre concurrent privé est Global Infrastructure Partners (GIP). Notre fonds d’infrastructure actuel détient des volumes de capitaux similaires. Dans le secteur des énergies renouvelables, il y a quelques autres concurrents et dans le secteur du capital-investissement, il y a les entreprises que vous connaissez. Je suis vraiment étonné que ce soit le cas, mais il n’y a que cinq ou six institutions dans le monde qui mobilisent des volumes de capitaux semblables à ceux que nous détenons avec des clients institutionnels : KKR & Co, Apollo, Blackstone, Brookfield et quelques autres entreprises de plus petite taille, mais ce sont les plus grands noms.
Q2: Beaucoup de capital est mobilisé par l’entremise du capital-investissement, de sorte que certains observateurs soutiennent que les évaluations des sociétés privées dépassent dans certains cas celles des sociétés ouvertes. Il existe également de grandes sociétés sur les marchés publics qui sont sans doute grandement sous-évaluées dans certains secteurs. Avez-vous déjà envisagé d’acquérir des participations importantes dans de grandes sociétés ouvertes qui vous intéressent et de les détenir pendant de longues périodes?
BRUCE FLATT: Les points que vous avez soulevés sont justes. Je pense que la gestion passive, ou indicielle, fait grimper les évaluations de titres qui ne sont pas nécessairement intéressants, au point où ils finissent par devenir des titres de valeur. Certains secteurs peuvent donc présenter d’importantes occasions. Je pense également que l’évaluation des actions technologiques sur le marché privé est un bon moyen de trouver de la valeur fondamentale, et que l’entrée en bourse a été très avantageuse pour cette industrie. Je m’en tiendrai à ça.
En ce qui concerne Brookfield, nous essayons de nous concentrer sur ce que nous faisons bien. Nous privilégions les secteurs dont nous connaissons bien les activités, nous achetons des entreprises qui produisent de la valeur et nous en tirons le maximum. Quand on achète un quart ou un tiers d’une entreprise, c’est difficile. En fait, souvent, nous divisons les choses, nous faisons croître les entreprises, mais nous devons investir d’énormes sommes d’argent dès le départ et nous croyons qu’il est préférable que cela soit fait dans le privé.
Q3: Bruce, quand vous entendez les commentaires au sujet de Brookfield, y a-t-il quelque chose à propos de la société que l’on ne considère pas à sa juste valeur, selon vous?
BRUCE FLATT: Nous sommes toujours sous-estimés! Voici ce que je pense, et ce n’est pas nécessairement lié au titre ni à nous, mais je vais utiliser cet exemple pour faire valoir mon point de vue, parce que je crois que c’est pertinent pour nous aussi. Vous pourrez ensuite décider vous-même si c’est vrai ou non. Supposons un monde financier où les taux d’intérêt se situent entre -2 % et +2 % à l’échelle mondiale et que ces taux se rapprochent du -2 % dans les marchés les plus importants; ce monde est donc différent de celui dans lequel nous avons vécu pendant longtemps. Et dans ce monde, je ne pense pas que les marchés boursiers, les entreprises, les entrepreneurs et les investisseurs aient changé leur façon de considérer la valeur des actifs.
Par exemple, les gens pensent que l’achat d’un immeuble de bureaux entièrement loué à New York au taux de 4 % est coûteux. Par le passé, cela représentait un prix élevé, mais si on a un taux obligataire à 30 ans de 1 % pour les 15 prochaines années, peut-être même pour une plus longue période, alors les taux de capitalisation devraient probablement être de 2 %. Je pense que ce n’est tout simplement pas encore accepté, et c’est logique : il faut du temps pour que les gens s’adaptent, parce que le taux de 4 % était auparavant de 6 %, puis il est passé à 5 % et finalement à 4 %, et les gens ne veulent pas être aux prises avec un retour à la normale. M. Powell pensait que X allait se produire, mais finalement ce sera Y. Selon moi, cela prend simplement du temps. Comme je l’ai dit plus tôt, nous pensons que les évaluations du marché boursier ont atteint des sommets, mais il est également possible qu’elles soient abordables. Dans un contexte de taux zéro, le ratio cours/bénéfice moyen est de 17. À 17, vous obtenez un assez bon rendement par rapport à zéro. Alors, c’est possible.
Je pense que c’est une chose que nous envisageons plus globalement maintenant. Lorsque je rencontre des clients institutionnels au sujet d’un placement dans des actifs réels, ils ont une répartition proche de zéro dans leur portefeuille, alors qu’elle devrait être à 50 %. Cela représente des dizaines de milliards de dollars en capital et cela se produit partout dans le monde.
Q4: Je crois comprendre le côté achat des actifs de valeur, mais qu’en est-il de l’autre? Comment vous débarrassez-vous de certains de ces actifs? En quoi consiste ce processus et quel a été votre taux de rotation au cours des cinq ou six dernières années?
BRUCE FLATT: Premièrement, dans nos bilans, nous conservons parfois des actifs pendant une longue période, comme la tour de Brookfield Place, que nous avons fini de construire en 1993 ou 1994.
Nous nous défaisons d’un actif qui fait partie de nos fonds lorsque le moment est opportun. Les fonds à capital fixe dans lesquels nous investissons avec nos clients institutionnels, qui disposent également de capitaux provenant de nos partenariats, sont des fonds à 12 ans. Nous disposons donc d’une assez longue période pour gérer nos actifs à notre guise. Parfois, nous vendons nos actifs dans le marché public; par exemple, nous avons introduit deux sociétés en bourse l’an dernier. Nous avons également fermé le capital de huit entreprises.
Notre travail consiste généralement à acheter, en fonction de la valeur, les actifs les plus complexes et les plus laborieux en raison de notre capacité à en tirer parti, à les mettre en ordre et à les perfectionner. Ensuite, nous les vendons à des clients institutionnels, qui veulent en être propriétaires pour toujours. De plus en plus, nous délaissons des actifs en nous tournant vers nos clients institutionnels. Lorsque nous vendons des actifs, nous essayons de maximiser la valeur des constituants du fonds, mais il se peut que neuf autres clients veuillent détenir ces actifs, car leur but ultime est d’investir directement – voilà le plus gros problème auquel nous faisons face actuellement. Les Canadiens font exception, parce qu’ils mettent en place des capacités d’investissement comme Brookfield; toutefois, la plupart des investisseurs institutionnels veulent être des investisseurs directs, mais ils ne peuvent tout simplement pas accomplir la plupart des choses que nous réalisons. Lorsque nous vendons des actifs plus complets, ce sont des participants, en particulier dans les secteurs des infrastructures et de l’immobilier.
Q5: Quelle hypothèse au sujet de l’évaluation relative du dollar canadien et du dollar américain s’inscrit dans votre planification stratégique?
BRUCE FLATT: La question est donc de savoir si j’ai un point de vue sur la relation entre le dollar canadien et le dollar américain. Brookfield Asset Management et ses quatre sociétés en commandite cotées en bourse sont des titres américains. Nous avons des activités d’exploitation au Canada, mais nos bilans sont américains et sont établis en dollars américains. Ainsi, comme dans tous les autres pays, nos actifs canadiens sont couverts en dollars américains, de sorte que nous n’avons pas de point de vue particulier sur le dollar canadien. Nous sommes des investisseurs américains et nous couvrons l’exposition au dollar canadien; nos actifs canadiens sont donc généralement couverts. Et ce n’est pas parce que nous avons une opinion sur la devise canadienne; cela coûte très peu de se couvrir en dollars américains, alors pourquoi devrions-nous prendre ce risque? Voilà ce que nous en pensons – il ne vaut tout simplement pas la peine de prendre ce risque. C’est particulièrement vrai pour les fonds de nos clients institutionnels, car nous pouvons facilement couvrir ces fonds et nous ne voulons tout simplement pas prendre ce risque – la plupart des actifs de nos fonds sont couverts ainsi.
Q6: D’un point de vue extérieur, on dirait que vous travaillez dans quatre secteurs très différents. Quelles synergies et tensions découlent de la gestion de ces activités?
BRUCE FLATT: Le point commun de notre travail est l’achat d’actifs corporels. Et tout ce dans quoi nous investissons en général est adossé à un actif qui génère des liquidités ou qui finira par générer des liquidités. Nous pouvons donc acheter une propriété qui n’est pas complète, qui a besoin de locataires et dans laquelle nous devons investir, mais qui, au bout du compte, finira par générer des flux de trésorerie. Alors, tous nos actifs sont tangibles et nous réalisons presque tous nos placements selon un modèle de flux de trésorerie sur 10 ans; nous pouvons donc établir notre taux de rendement interne.
Nous avons des immeubles de bureaux, qui sont un peu différents de nos centrales électriques et de nos routes à péage, mais selon une perspective de placement, ce sont des biens « réels ». Nous ne misons pas sur les nouvelles technologies, nous n’investissons pas dans la biotechnologie; nous investissons dans des biens réels et tangibles qui génèrent des flux de trésorerie.
JEFF YOUNG: Merci beaucoup. C’est là-dessus que nous allons conclure. J’aimerais remercier Bruce et James de nous avoir permis de participer à leur discussion. Merci d’avoir répondu à nos questions; c’était très intéressant et instructif. Merci à tout le monde d’avoir été présent aujourd’hui.
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Ce texte est la transcription éditée d’une conversation avec Bruce Flatt, chef de la direction de Brookfield Asset Management et diffusée avec son autorisation expresse. Ce commentaire est fourni à titre d’information seulement; on ne devrait pas se fier aux renseignements contenus dans ce document, ceux-ci ne constituant pas des conseils précis financiers, fiscaux, de placement ou d’ordre juridique, ni de toute autre nature.