3 Questions Clés sur les Titres à Revenus Fixes Répondues: le «Problème» de l’Inflation


6 mai 2021

Les titres à revenu fixe constituent une catégorie d’actifs de plus en plus complexe. L’environnement actuel exige une gestion active, ce qui signifie que les investisseurs doivent se tenir au fait des principaux facteurs qui influencent les marchés.

Jeff Young, directeur général, Groupe attitré à la clientèle privée, s’est récemment entretenu avec Derek Brown, premier vice-président et cochef, Titres à revenu fixe, pour lui demander l’avis de son équipe sur trois questions permettant de comprendre les marchés des capitaux actuels :

  1. La Réserve fédérale américaine ou la Banque du Canada doivent-elles intervenir pour freiner la hausse des rendements?
  2. L’inflation risque-t-elle de devenir un problème au cours du cycle actuel?
  3. Quelles sont nos perspectives concernant le dollar canadien?

Il s’agit de la première édition de notre nouvelle série, intitulée « 3 Questions clés », que nous avons conçue pour nous permettre d’aborder les grands enjeux, de faire part de nos réflexions et de répondre à vos questions, le tout en 30 minutes.

*La transcription est en français, mais l’entrevue avec le gestionnaire se déroule en anglais.*

L’enregistrement a eu lieu le 22 avril 2021. La transcription suivante a été adaptée pour plus de clarté.

 

le «Problème» de l’Inflation

Opérateur : Merci de participer à la conférence d’aujourd’hui, intitulée « 3 Questions clés sur les titres à revenu fixe ». La conférence d’aujourd’hui sera animée par Jeff Young, directeur général, Groupe attitré à la clientèle privée, et Derek Brown, premier vice-président et cochef, Titres à revenu fixe, chez Beutel Goodman. Jeff, c’est à vous.

Jeff Young : Tout d’abord, nous poserons à Derek trois des questions qu’on nous adresse le plus souvent, puis nous répondrons à quelques-unes des questions que les participants nous ont posées lors de leur inscription à la conférence. Nous réserverons quelques minutes pour répondre aux questions que les gens pourraient avoir en cours de route. La conférence ne durera pas plus de 30 minutes, mais nous allons quand même consacrer du temps à la fin pour aborder les questions qui seraient demeurées en suspens. Alors, Derek, bienvenue et merci de participer à cette conférence.

Derek Brown : Merci, Jeff. Ça me fait plaisir.

JY : La première question porte sur les taux d’intérêt. Les rendements obligataires ont augmenté de façon assez spectaculaire depuis le début de l’année. Les gens se demandent si cette hausse des rendements nuit en quelque sorte aux objectifs de la Banque du Canada en matière de politique monétaire. Et si la Réserve fédérale américaine ou la Banque du Canada devraient hausser leurs taux d’intérêt pour calmer le jeu.

 

DB : Comme dans bien des cas, ça dépend. En fin de compte, les banques centrales ne peuvent vraiment contrôler que la portion à court terme de la courbe – disons les obligations à cinq ans et moins – en augmentant les taux d’intérêt. Elles peuvent ensuite recourir à l’assouplissement quantitatif, comme elles l’ont fait au cours du cycle actuel au Canada et aux États-Unis, qui a débuté en 2008, afin de favoriser les rendements à long terme. Mais en fin de compte, elles veulent les contrôler dans une certaine mesure.

Le rendement des obligations canadiennes à long terme est d’environ 2 % en ce moment. Le rendement des obligations américaines à long terme est quant à lui d’environ 2,25 %. C’est faible, je pense, par rapport aux niveaux historiques, mais ce n’est pas le niveau le plus bas que nous ayons connu. Au cours du dernier cycle, les obligations canadiennes à long terme ont plafonné à 2,50 %. À l’époque, la Banque du Canada nous disait que son taux neutre, c’est-à-dire le point où elle cesserait de relever les taux d’intérêt, se situait quelque part entre 2,25 % et 3,25 %.

Pour le cycle actuel, post-COVID, compte tenu du niveau d’endettement et des changements démographiques, la Banque estime que le taux neutre, c’est-à-dire le point où elle cessera de majorer les taux d’intérêt au cours du cycle, se situe entre 1,75 % et 2,75 %. C’est une fourchette assez large. Je rappelle que lors du dernier cycle, elle avait parlé de 2,25 % à 3,25 % et avait arrêté son tour de vis à 1,75 %. Donc, en général, le rendement des obligations canadiennes et américaines à long terme ne peut pas être beaucoup plus élevé que le niveau fixé par la Réserve fédérale ou la Banque du Canada pour bloquer les taux d’intérêt.

De manière générale, le rendement d’une obligation à 30 ans devrait correspondre essentiellement à la moyenne du taux de la Banque du Canada pour les 30 prochaines années, auquel s’ajoutent une prime d’inflation et une prime d’incertitude, ce que nous appelons la prime d’échéance dans le cas des obligations. Donc, si la Banque du Canada prévoit que les rendements obligataires ne dépasseront pas 1,75 % ou 2 %, il est très difficile pour les obligations à long terme d’atteindre un rendement beaucoup plus élevé que cela.

C’est pourquoi les banques centrales ne s’inquiètent pas quand les taux d’intérêt atteignent à peu près ces niveaux. En revanche, si ces niveaux sont dépassés de manière spectaculaire sans que la croissance le justifie, elles devront réagir. Si nous connaissons un énorme essor technologique, favorisé par la fiscalité, et que la croissance potentielle n’est soudainement plus de 2 % au Canada, mais de 3 %, alors les taux devraient augmenter. Ils devraient naturellement augmenter parce que la croissance est nettement supérieure. Un peu comme dans les années 1990, mais nous n’en sommes pas là pour le moment. Donc, si c’est le cas, c’est très bien, mais si on commence à voir des rendements nettement supérieurs à l’inflation ou au PIB, c’est à ce moment-là que la Banque du Canada devra freiner la tendance.

Les banques centrales aiment aussi beaucoup ce que l’on appelle une courbe des taux accentuée – c’est-à-dire lorsqu’il y a une grande différence entre votre obligation à 30 ans et votre obligation à 2 ans. La raison en est que c’est très rentable pour les banques. Lorsque les banques font de l’argent, elles prêtent davantage, et lorsqu’elles prêtent davantage, les gens achètent des maisons ou des voitures, investissent, etc. C’est également utile pour les régimes de retraite, qui peuvent obtenir – je sais que cela ne semble pas beaucoup – un rendement de 2,25 % ou 3 %, voire 4 % sur une obligation de société. Parallèlement, les taux hypothécaires restent bas. Ainsi, vous obtenez des avantages pour les épargnants tout en aidant les emprunteurs. Les courbes des taux accentuées sont donc généralement avantageuses pour les banques centrales.

Tant que nous restons proches de notre taux cible, qui se situe dans une fourchette de 2,25 % à 2,75 % au Canada et probablement de 2,5 % à 3 % aux États-Unis, les banques centrales ne devraient pas tirer sur les rênes. La seule fois où ça peut arriver à leur insu, c’est lorsque les gens commencent à anticiper les hausses de taux, et les banques centrales font très attention à cela en ce moment. Elles ne cherchent pas à ne rien dire, mais la Fed a été très claire sur le fait qu’elle ne relèvera pas ses taux avant 2024. Nous ne la croyons pas, mais elle essaie de faire passer ce message.

Enfin, hier, la Banque du Canada a admis qu’elle devrait probablement relever ses taux d’intérêt à la fin de 2022, alors qu’auparavant, elle envisageait plutôt une hausse en 2023. Elle n’a donc probablement devancé son calendrier que d’environ six mois. Et cela convient probablement à la situation dans laquelle nous nous trouvons. Donc, à ce stade, il est inutile de procéder à une augmentation. Les rendements ont augmenté, mais ils se sont stabilisés à peu près au niveau cible. Nous sommes tranquilles pour l’instant. Si nous commençons à voir les rendements augmenter de façon marquée – de 50 à 100 points de base sur la portion à long terme – je pense que c’est à ce moment-là que la Banque devra revenir sur sa décision. Mais je ne pense pas qu’elle laissera une telle situation se produire. Je pense que si on se rapproche des 50 points de base, elle agira en conséquence.

JY : Très bien, merci. Je suppose que cette volonté de différer le relèvement des taux nous amène à la question suivante. Les médias financiers parlent beaucoup de la montée de l’inflation et craignent que celle-ci devienne incontrôlable si les banques centrales attendent trop longtemps avant d’intervenir. Pensez-vous que l’inflation sera un problème à un certain moment dans ce cycle économique?

 

DB : En un mot, la réponse est non, mais c’est parce que vous avez mentionné ce cycle-ci. Si vous me posiez la question à propos de l’inflation sur les dix prochaines années, ma réponse serait peut-être différente. Je ne pense pas que ce cycle sera beaucoup plus long que trois ou quatre ans, principalement parce que nous n’avons pas connu le « ménage » que nous voyons normalement pendant les récessions. Les mesures de relance ont été si nombreuses que beaucoup d’entreprises ont survécu, ou continuent de survivre, alors qu’elles auraient probablement dû disparaître. Nous aurons probablement un autre cycle dans quelques années. Je ne sais pas quand, mais c’est inévitable.

L’inflation est un sujet délicat. Beaucoup d’éléments entrent en ligne de compte, et il existe différents types d’inflation. Il y a les hausses de prix, que beaucoup qualifient de « mauvaise » inflation, et il y a l’inflation alimentée par la demande, considérée comme la « bonne » inflation.

En prenant un peu de recul, si nous prenons l’exemple de personnes qui gagnent plus d’argent, peu importe la raison, leurs salaires augmentent, elles sont plus productives et leur entreprise se porte bien. Elles peuvent alors demander des augmentations de salaire et avoir encore plus d’argent dans leurs poches. Elles vont le dépenser, ce qui accroît la demande de produits et incite les producteurs à monter leurs prix, ce qui est une bonne chose. C’est une économie saine qui entraîne ce que nous appelons l’inflation alimentée par la demande. En général, celle-ci est assez régulière. On la constate chaque année, et les gens s’attendent à ce que l’inflation se poursuive, ce qui est généralement sain.

Mais il faut quand même faire preuve de prudence, car si elle se poursuit indéfiniment sans être contrôlée, on se retrouve avec une économie débridée, une croissance fulgurante, une inflation galopante et une banque centrale qui ne réagit pas. Un peu comme dans les années 1960 et au début des années 1970. C’était un cas particulier, mais c’est celui qui inquiète tout le monde.

Ensuite, vous avez les hausses de prix. Les hausses de prix sont la « mauvaise » inflation. Prenons l’exemple de l’essence : lorsque le prix de l’essence augmente, ce n’est pas une bonne chose. En effet, les gens perdent de l’argent en payant l’essence parce qu’ils n’ont pas d’autre choix et ne peuvent pas dépenser leur argent à d’autres fins. Les revenus n’augmentent pas au même rythme, les gens n’obtiennent pas d’augmentation de salaire à cause de cela. C’est donc une sorte de taxe à la consommation, à défaut d’un meilleur terme.

Or, c’est ce type de mauvaise inflation que nous observons en ce moment. Cela concerne l’augmentation du prix des billets d’avion, de l’essence, des maisons, d’un grand nombre de choses. Cette inflation est réelle. Mais elle a tendance à être temporaire. Elle tend à s’estomper avec le temps, principalement parce que c’est une taxe; on ne peut pas dépenser autrement, il n’y a pas de croissance réelle du PIB, la demande n’augmente pas. Il s’agit essentiellement d’un effet de substitution.

Bien que cela se produise – et vous verrez probablement un IPC de 3 % le mois prochain – cela est en grande partie attribuable aux effets de base. L’IPC était vraiment très bas l’année dernière. Et puis vous allez avoir ces taxes (dans le sens d’une augmentation importante des prix) qui vont réduire le budget alloué à la consommation. Ainsi, vous verrez que la consommation est forte, mais pas très forte. Et puis l’inflation a tendance à s’estomper avec le temps parce qu’il s’agit généralement d’une augmentation ponctuelle, et non d’une augmentation constante qui revient chaque année.

Et c’est justement ça qui crée une certaine confusion. Les gens se disent que le prix des légumes a augmenté de 6 %. D’accord, mais est-ce que ça va encore augmenter de 6 % l’année prochaine et l’année d’après? L’essence a augmenté de 30 % cette année. Va-t-elle encore augmenter de 30 % l’année prochaine? Probablement pas. Ces facteurs d’inflation ne sont pas nécessairement permanents.

Pour le moment, nous croyons que l’inflation ne sera pas un problème majeur. Cela tient principalement à la situation démographique et au niveau d’endettement actuel. La croissance n’est tout simplement pas assez forte pour faire grimper l’inflation de façon spectaculaire. En fait, aux États-Unis, la Fed n’a atteint sa cible d’inflation de 2 % que pendant environ trois mois au cours de la dernière décennie. Ce n’est donc pas comme si nous avions connu une inflation galopante dans le passé.

La situation est bien meilleure au Canada, et cela a beaucoup à voir avec notre monnaie. En effet, la monnaie agit comme une soupape de sécurité lorsqu’il est question d’inflation ou de variations du PIB. Donc, nous avons connu une inflation de base légèrement plus élevée. Et nous pensons que nous allons atteindre le taux de 3 % assez rapidement, en mai et en juin de cette année.

Revenons aux effets de base. N’oublions pas que si l’inflation a été très faible l’année dernière, c’est en raison du confinement. Attendons-nous à ce que les chiffres bondissent cet été, justement parce que le creux de l’année dernière aura été exceptionnel. Mais il y aura aussi un effet de base négatif en 2022. Étant donné que l’IPC sera probablement très élevé cet été, l’inflation devrait diminuer l’été d’après, à moins que la dynamique de croissance sous-jacente soit vraiment forte; c’est ce que nous appelons les attentes en matière d’inflation. C’est le véritable danger que les banques centrales redoutent.

Depuis 20 ans, les attentes en matière d’inflation sont de plus en plus faibles. Les gens continuent de penser que l’inflation ne sera pas un problème. Nous sommes passés d’une attente d’inflation d’environ 3,5 % à pratiquement 2 %, et personne ne voit plus l’inflation comme un problème en soi. Les banques centrales peuvent agir sur l’attente d’inflation, en laissant faire et en prenant leur temps pour augmenter les taux d’intérêt; elles peuvent ainsi influer sur cette variable et sur son incidence sur l’IPC et l’inflation globale. Les autres éléments qui influent sur l’inflation sont l’endettement et les facteurs démographiques, et les banques centrales ne peuvent évidemment rien y faire.

En ce qui concerne l’endettement, la question ne se pose pas vraiment : on ne peut pas vraiment changer le comportement des consommateurs. Bien sûr, les banques centrales peuvent augmenter les taux d’intérêt, mais ce n’est pas suffisant. Elles ne peuvent pas non plus faire grand-chose en ce qui concerne les facteurs démographiques. Mais si elles laissent l’inflation augmenter suffisamment, disons de 2 % à 2,5 % pendant un certain temps, les gens commenceront à croire que l’inflation sera de 2,5 % ou de 3 %. Nous cesserons alors de constamment sous-estimer l’inflation. C’est quelque chose que les gens tendent à oublier : cela fait plus de dix ans que nous sous-estimons l’inflation.

Nous avons donc le temps de corriger un peu le tir sans penser que nous allons atteindre 4 % ou 5 % aussi rapidement. Verrons-nous une inflation de 3 % pendant l’été? Oui, mais temporairement. Peut-être pourrons-nous atteindre 4 % en juin. Je ne le pense pas, mais c’est possible. Ensuite, l’inflation va redescendre à 2 % ou 2,5 % pour un certain temps.

JY : Oui, l’effet de base est un bon point. Si nous voyons ces chiffres effarants, que ce soit pour l’inflation ou pour la croissance d’une année sur l’autre, c’est en grande partie parce que l’année dernière a été exceptionnellement faible. Et comme vous dites, cette situation se résorbera d’elle-même au fur et à mesure.

DB : Exactement.

JY : Vous avez mentionné le dollar canadien dans votre réponse précédente, et la question suivante porte justement sur le dollar. Depuis environ un an, nous constatons que le dollar canadien s’apprécie par rapport au dollar américain. À quoi attribuez-vous cette progression et pensez-vous qu’elle va se poursuivre?

 

DB : Quelques précisions à propos du dollar canadien. Tout d’abord, cette situation est en grande partie attribuable à l’évolution du dollar américain, et non à celle du dollar canadien. Le dollar américain est généralement considéré comme une valeur refuge. Concrètement, lorsque les choses vont mal, les investisseurs se tournent vers le dollar américain. C’est exactement ce qui s’est passé en mars, en avril et en mai de l’année dernière. Lorsque les choses ont commencé à s’améliorer, que les marchés boursiers sont repartis à la hausse et que les mesures de relance budgétaire ont été mises en place, les investisseurs se sont mis à vendre leurs billets verts.

Le baromètre du dollar américain est l’indice DXY, qui est un panier de monnaies, dans lequel le Canada se classe très bien. Je pense qu’il est en quatrième position après le yen et l’euro. Or, il ne devrait pas y être, si on tient compte de la pondération en fonction des échanges. Notre pondération actuelle est en quelque sorte celle des années 1970 et 1980, alors que l’économie est celle de 2020. Nous sommes donc touchés de manière disproportionnée.

Au moment même où on assistait à une vente massive de dollars américains, le pétrole rebondissait. Le Canada a donc bénéficié de deux événements simultanés : l’effet du DXY, qui a vitaminé le dollar, et la hausse du prix du pétrole. Cela a entraîné une surperformance majeure. C’est la principale raison qui explique la vigueur du dollar canadien au cours de la dernière année.

Cette année, les choses ont été un peu différentes, du moins au cours des derniers mois. L’attention s’est déplacée du dollar américain vers le dollar canadien. Cela a moins à voir avec le pétrole qu’avec l’orientation de notre banque centrale. La Banque du Canada a en effet commencé à réduire ses achats d’actifs; elle a d’ailleurs annoncé hier le deuxième cycle de cette réduction. Elle envisage la possibilité de hausser les taux à la fin de 2022. On est donc loin de l’orientation de la Fed qui, en mars, a déclaré qu’elle ne relèverait pas ses taux avant 2024 et qu’elle n’envisageait pas de réduire ses achats d’actifs. La dynamique est donc très différente entre les deux banques centrales.

L’écart entre le rendement des obligations du Canada à 2 ans et celui des obligations américaines à 2 ans est en fait assez large à l’heure actuelle. Il est de 15 ou 16 points de base, ce qui ne semble pas beaucoup, mais d’un point de vue monétaire, tout cela fait que le Canada devient un pays offrant un rendement élevé, 30 points de base, sur son obligation à 2 ans. On est loin des rendements négatifs en Europe – tout est relatif.

Cela fait grimper un peu le dollar canadien, et je pense que vous continuerez à voir cette tendance à la hausse tout au long de l’été. Le déconfinement coïncidera avec le début des vacances. De plus en plus de gens prendront la voiture plutôt que l’avion pour partir en vacances cet été – essayez de réserver un terrain de camping, c’est impossible. Je pense que vous verrez la même dynamique aux États-Unis et au Canada, ce qui va probablement faire monter les prix du pétrole aux alentours de 70 dollars le baril (entre 65 et 70 dollars), du moins pendant un certain temps.

Mais comme son prix est assujetti à une gestion de l’offre, le pétrole ne peut pas monter indéfiniment. Les gens parlent de l’assouplissement quantitatif comme un moyen de perturber le marché : la Fed et la Banque du Canada achètent des actifs et jouent avec les rendements, ce qui constituerait une forme de manipulation du marché. En réalité, le véritable facteur de manipulation du marché, c’est le prix du pétrole.

En gros, l’OPEP détermine la quantité de pétrole qu’elle va pomper et fixe un prix cible, qui est généralement de 60 dollars le baril. Elle dit que c’est le prix idéal pour nous et qu’il n’est donc pas nécessaire de reprendre les forages sauvages dans le bassin permien, aux États-Unis, ou en Alberta. Elle contrôle l’offre de manière à maintenir le prix autour de 60 dollars. Ainsi, dès que le prix dépasse 70 dollars, l’OPEP augmente sa production, ce qui fait baisser les prix.

En ce qui concerne la période estivale, vous verrez probablement le pétrole grimper jusqu’à 70 dollars. Parallèlement, la Banque du Canada adopte une attitude un peu plus ferme, ce qui signifie qu’elle sera un peu plus encline que la Fed à ne pas relever les taux d’intérêt. Et la Fed va encore se montrer patiente.

Je pense que le dollar canadien vaut 80-82 cents en ce moment, soit le niveau de 2017. Le scénario était similaire : le dollar a connu une forte hausse en 2016 et en 2017. La Banque du Canada a annoncé en juin 2017 qu’elle allait commencer à relever les taux d’intérêt et c’est à ce moment-là que le dollar a atteint les 82 cents. Je pense que nous sommes dans une situation très similaire. Je ne serais donc pas surpris de voir le dollar canadien continuer à gagner quelques cents.

Nous n’avons pas vu le dollar canadien franchir la barre des 82 cents depuis 2015 ou même 2014. À l’époque, le pétrole se situait constamment dans une fourchette de 80 à 100 dollars. Je ne pense pas que nous allons revivre ce scénario. Si ce seuil est franchi, je pense que la Banque du Canada commencera à s’inquiéter, à se montrer un peu moins ferme et serait susceptible d’augmenter les taux d’intérêt. Parce que l’appréciation du dollar canadien fait diminuer l’inflation.

Voici pourquoi : plus la monnaie est forte, plus l’inflation est faible, car vous n’importez plus votre inflation. Les produits deviennent essentiellement moins chers. Je pense que cela nuirait aux efforts de la Banque du Canada et ralentirait quelque peu l’économie. Donc, c’est possible qu’on dépasse les 82 cents, mais pour le moment, je ne pense pas que ça se produira. À court terme, je suis plutôt optimiste, mais j’attendrais que le dollar canadien gagne quelques cents de plus avant d’acheter des dollars américains. Mais si j’avais un gros montant à convertir, je n’hésiterais pas à le faire maintenant.

JY : Merci Derek. Nous allons maintenant passer aux questions envoyées dans la boîte de clavardage, il y en a plusieurs, mais avant cela nous allons répondre à une question que quelqu’un nous a posée lors de son inscription. Ça porte sur des sujets que nous avons déjà abordés plus tôt, soit l’augmentation du prix des actifs et le fait que les marchés des capitaux, l’immobilier, les monnaies numériques, les nouveaux jetons non fongibles (les « NFT »), etc. semblent indiquer une forte inflation, au moins au niveau des actifs, qui n’est pas prise en compte par l’indice des prix à la consommation ni par l’indice des prix à la production. Mais cela accroît les inégalités et aggrave les autres problèmes sociaux. On vous demande votre avis sur la durabilité ou les effets à long terme de cette augmentation du prix des actifs.

 

DB : C’est une question très difficile, car elle soulève un problème délicat, celui des inégalités. Je vais mettre de côté les considérations politiques et m’en tenir aux aspects économiques. Essentiellement, les personnes ayant des revenus élevés ont une propension marginale à dépenser moins élevée que les personnes à faible revenu. C’est comme ça.

Si une personne qui fait 50 000 $ gagne 1 $ de plus, ce dollar sera dépensé. En fait, elle pourrait dépenser 1,15 $ parce qu’il y aura un effet de levier. En revanche, si une personne gagne 500 000 $ par an, ce dollar supplémentaire ne sera pas dépensé et sera plutôt injecté dans le marché boursier. C’est un peu ce que l’on observe. On donne des chèques de relance à des gens qui n’en ont pas besoin, du moins aux États-Unis. Et ils placent cet argent en bourse.

Et il y a des règles fiscales qui font que vous avez intérêt à acheter une grande maison. Au Canada, vous ne payez pas d’impôt sur les gains en capital sur votre résidence principale. Alors, pourquoi ne pas effectuer un très gros investissement non imposable? Surtout si vous considérez votre résidence principale comme un investissement, ce que font la plupart des gens. Cette augmentation du prix des actifs s’explique donc aisément. Est-ce une bonne chose pour la société? Non. Elle crée des inégalités sociales, des frictions, disons-le ainsi. Y a-t-il une solution facile? Non plus.

Mais quand vous avez des banques centrales, et je dirais même des gouvernements, qui utilisent le marché boursier comme baromètre de la santé de l’économie, et que 90 % des actifs sont détenus par 10 % des gens, alors vous allez vous retrouver avec ce genre de situations.

Lors d’une présentation que nous avons faite en novembre 2019, nous avons expliqué que la Fed est intervenue lorsque le marché des bons du Trésor s’est retrouvé paralysé aux États-Unis et que le marché boursier a chuté de 5 %. Elle avait le choix à ce moment-là de dire que le marché boursier devrait reculer encore de 5 à 10 % parce que le système était trop endetté, ou d’acheter un grand nombre de bons du Trésor et ainsi inonder le système de liquidités pour éviter une chute du marché boursier. Voilà ce qu’elle a fait : elle a choisi d’éviter que le marché boursier recule de 5 ou 10 %. La banque centrale a montré son vrai visage ou, comme on dit, elle s’est mise en mode réaction.

Je pense que si vous remontez un peu plus loin, en 2018, la Fed avait augmenté ses taux d’intérêt en décembre, ce qui avait entraîné une baisse d’environ 20 % du marché boursier. Je pense que tout le monde se souvient de ce Noël. La baisse avait été de 5 % la veille de Noël, suivie d’une hausse de 5 % le lendemain de Noël, ou quelque chose comme ça. Et le 3 janvier, il me semble, MM. Powell et Clarida, le président et le vice-président de la Fed, ont annoncé qu’ils n’allaient plus augmenter les taux d’intérêt. Il n’a pas fallu grand-chose – une baisse de 20 % du marché boursier – pour que la Fed décide de fournir des liquidités ou du moins de ne pas en retirer. Donc, le fait de ne pas augmenter les taux d’intérêt n’équivaut pas à retirer davantage.

Généralement, les gouvernements écoutent les experts, autrement dit les banques centrales (car, soyons honnêtes, peu de gens au gouvernement comprennent la finance). Ils les écoutent, et lorsqu’ils utilisent le marché boursier comme indicateur de la santé de l’économie américaine ou canadienne, ils veulent toujours les soutenir. Nous avons conclu la présentation en disant que chaque fois que le marché boursier chute de 20 %, il faut acheter sans hésiter, car les banques centrales ne supportent pas de voir le marché boursier perdre du terrain. Elles injecteront des liquidités dans les marchés chaque fois qu’elles le pourront.

C’est là que nous comprenons l’augmentation du prix des actifs, puisqu’il sert à mesurer le succès. Et si c’est votre baromètre du succès, vous allez continuellement le soutenir. Lorsque vous arrivez à un point où le marché boursier est en théorie cher – bien que je ne sois pas d’accord avec ceux qui pensent qu’il est très cher parce que la composition a changé radicalement au cours des 30 dernières années – cela conduit à des situations où les gens se disent : « J’ai des liquidités excédentaires, je veux saisir la prochaine occasion ». Cela pourrait être le bitcoin, cela pourrait être les jetons non fongibles, que je ne comprends pas vraiment. Mais je ne comprends pas non plus pourquoi on dépense deux millions de dollars pour une carte recrue de Tom Brady. C’est arrivé il y a deux mois.

Donc, on a plusieurs possibilités. Les jetons non fongibles n’ont aucun sens pour moi, peut-être qu’ils en ont pour un millénarial avec beaucoup d’argent. Nous avons toujours connu ce genre de situations au cours de notre vie, qu’il s’agisse du marché boursier au milieu des années 90 ou même de l’après-2008, plus exactement les deux premières années qui ont suivi la crise. L’histoire des bulles se répète, et je pense que ce phénomène va se reproduire. Cela exacerbe-t-il les inégalités? Sans aucun doute.

JY : Nous avons reçu une question dans la boîte de clavardage qui est liée d’une certaine manière, mais qui aborde le problème d’un autre angle. La Banque du Canada pourrait-elle intervenir en s’appuyant sur la politique monétaire afin de freiner la hausse des prix des logements, par exemple? Je crois comprendre que vous avez répondu que c’est peu probable.

 

DB : Oui. C’est un moyen vraiment peu efficace. On ne peut pas augmenter les taux d’intérêt et espérer que ça ne touchera pas le marché du logement. Bien sûr, cela influe sur les taux hypothécaires, mais cela nuit aussi à la rentabilité des banques parce que vous aplatissez votre courbe de manière énergique. Toutes les entreprises devront emprunter à des taux nettement plus élevés. Nous avons un déficit assez important, je pense que nous l’avons tous remarqué. Nous allons donc devoir emprunter à des taux plus élevés. Les répercussions sont donc énormes.

Ce n’est pas la meilleure façon de procéder. Bien sûr, elles peuvent le faire. Mais la meilleure solution consiste à appliquer ce que les banques appellent des règles macroprudentielles, ce qui n’est qu’une façon élégante de parler de simulations de crise, de modifications des règles fiscales ou autres choses du genre. En fin de compte, je pense que vous verrez des changements aux règles fiscales concernant la résidence principale. La Banque de Montréal a publié il n’y a pas longtemps un très bon article dans lequel elle présente dix suggestions à ce sujet. La RBC a fait quelque chose de similaire.

Il est probable que vous aurez un impôt sur la spéculation. Vous devez être propriétaire de votre maison pendant deux ou trois ans. Si vous vendez avant deux ou trois ans, vous devrez payer une sorte de pénalité. Aux États-Unis, le plafonnement concerne, je crois, les premiers 500 000 $ de gains en capital sur votre résidence principale, qui ne sont pas imposés; au-delà de ce seuil, vous payez un impôt. Je pense que le Canada appliquera ce genre de mesures.

Une grande partie de ces mesures pourraient faire l’objet d’une clause de droits acquis, car je pense qu’elles risquent de contrarier tous ceux qui espèrent réaliser un gain d’un million de dollars sur leur maison et qui devraient soudainement payer un impôt. Mais je pense que tôt ou tard, cet impôt entrera en vigueur pour ralentir le marché du logement. Cela se traduira par plus de règles macroprudentielles.

JY : Ce qui nous amène à notre prochaine question, qui concerne les dépenses publiques. Nous passons donc de la politique monétaire à la politique budgétaire. Nous avons vu les gouvernements du monde entier emprunter massivement et dépenser sans compter pour gérer l’impact de la COVID-19 sur leurs économies. Quelles sont, selon vous, les répercussions de ces dépenses? La question portait spécifiquement sur les taux et les devises, mais je suis sûr que cela va plus loin que cela.

 

DB : En ce qui concerne les taux et les devises, il est heureux que tout le monde ait fait la même chose. Parce que nous vivons dans un monde relatif (je sais, ça peut paraître bizarre, mais ce n’est pas grave). Les devises sont relatives. C’est le dollar américain contre le dollar canadien, le dollar américain contre l’euro, le dollar américain contre le yen ou contre le renminbi, tout est en opposition. Donc, si tout le monde fait la même chose, cela n’a pas vraiment d’incidence sur les devises. Je ne pense donc pas qu’il y ait un problème majeur à ce niveau.

À partir de 2022, je dirais que cela comptera. C’est à qui mettra de l’ordre dans ses affaires ou qui le fera le plus rapidement, et je pense que les économies connaîtront des trajectoires différentes. Pour l’instant, cela n’a pas beaucoup d’importance pour les devises.

Pour les rendements, cela devrait normalement avoir de l’importance parce que nous nous retrouvons avec une offre excédentaire énorme. Mais la Banque du Canada achète une quantité considérable d’obligations. Même si elle a réduit ses achats, elle détient quand même 42 % du marché des obligations du gouvernement canadien, alors que ce pourcentage n’était que de 10 % auparavant. Ce pourcentage atteindra probablement les 50 % d’ici à ce qu’elle mette fin à ses achats. La Banque du Canada possédera donc la moitié du marché des obligations canadiennes d’ici un an. Normalement, une telle situation – un tel volume d’obligations à remettre sur le marché – aurait une incidence majeure. Mais lorsque c’est la Banque du Canada qui avale une grande partie de ce volume, les rendements ne sont pas vraiment touchés.

L’autre question que l’on nous pose, et qui est en quelque sorte une question complémentaire : comment allons-nous payer pour tout cela? La réponse rapide est que nous ne paierons pas, en fait. Nous ne remboursons jamais tout cela. Aucun gouvernement dans l’histoire récente n’a jamais remboursé sa dette. Ils ne font que la refinancer. Et la seule chose à faire est de continuer ainsi et d’utiliser cette dette comme un levier.

Et c’est vraiment ce qu’on essaie de faire en ce moment avec les mesures de relance budgétaire, notamment en matière d’infrastructures, ou encore avec le programme de garderies mis en place par le gouvernement fédéral. Cela devrait accroître la participation des travailleurs, ce qui devrait faire augmenter le PIB. En laissant les banques centrales faire tourner l’économie à plein régime, on obtient l’inflation. C’est essentiellement ce qu’on essaie de faire.

Personne ne viendra rembourser la dette. Vous vous fiez essentiellement à la croissance pour que votre ratio dette/PIB diminue au fil du temps et que la valeur du dollar d’aujourd’hui ne soit pas celle du dollar dans dix ans. Parallèlement, vous ne pouvez pas laisser l’inflation exploser comme dans les années 70 et 80, car ce serait encore pire. Il faut donc gérer l’inflation pour qu’elle se maintienne dans une fourchette de 2 % à 2,5 %.

JY : Excellent, merci Derek. Je vois que nous sommes en train de dépasser notre limite de temps. Sur ce, merci beaucoup pour vos commentaires. Merci à tous pour votre participation à cette conférence. Si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas à communiquer avec votre gestionnaire de portefeuille, qui se fera un plaisir de vous répondre. Bonne journée et portez-vous bien.

 

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