Trois questions clés sur les titres à revenu fixe


15 novembre 2024

En septembre, la Réserve fédérale américaine a suivi l’exemple de la Banque du Canada et d’autres grandes banques centrales en réduisant les taux d’intérêt. Les marchés obligataires se sont bien comportés en 2024 dans le cadre de ce passage à une politique monétaire accommodante, mais que signifieront de nouvelles baisses de taux pour les investisseurs?

Dans le dernier épisode de notre série de webinaires Trois questions clés, notre hôte, Marcia Wisniewski, vice-présidente du Groupe attitré à la clientèle privée, s’entretient avec Derek Brown, vice-président principal et chef, Titres à revenu fixe, et Sue McNamara, vice-présidente principale et chef de l’analyse du crédit pour discuter de ce qui suit :

  1. La Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine ont toutes deux entamé leur cycle de réduction des taux d’intérêt. Comment les marchés obligataires ont-ils réagi à ce changement de politique monétaire et quelles pourraient être les implications pour les emprunteurs ?
  2. Dans le contexte de l’assouplissement des banques centrales et du ralentissement des économies au Canada et aux États-Unis, comment les écarts de crédit pourraient-ils être affectés ?
  3. Quelles sont les principales considérations pour les investisseurs dans un scénario d’atterrissage en douceur ou en force de l’économie ?

 

Cet entretien a été enregistré le 29 octobre 2024. La présente transcription a été retouchée à des fins de clarté.

 

Remarque : Les renseignements contenus dans cette transcription et cet enregistrement ne constituent pas des conseils juridiques, financiers, comptables, fiscaux, liés aux placements ou autres, et ne doivent pas servir de fondements à de tels conseils. Il ne s’agit pas d’une invitation à acheter ou négocier des titres. Beutel, Goodman & Company Ltée ne cautionne ni ne recommande les titres dont il est question ici.

 

Marcia Wisniewski: Bonjour et merci de vous joindre à nous pour cette nouvelle édition de la série Trois questions clés de Beutel Goodman. Ici Marcia Wisniewski, vice-présidente du Groupe attitré à la clientèle privée chez Beutel Goodman. Avant de commencer, nous tenons à souligner que les terres sur lesquelles nous sommes rassemblés font partie du territoire traditionnel des Mississaugas de la Première Nation de Credit, des Anishinabés, des Chippewas, des Haudenosaunees et des Wendats. Ce territoire abrite aujourd’hui divers membres des Premières Nations et des communautés inuites et métisses.

Nous reconnaissons également que Toronto est visé par le Traité 13 signé avec la Première Nation des Mississaugas de Credit, et par les traités Williams signés avec de multiples bandes des Mississaugas et des Chippewas.

J’en profite aussi pour vous communiquer un bref avertissement de nos collègues de l’équipe juridique.

Les renseignements contenus dans ce webinaire ne constituent pas des conseils juridiques, financiers, comptables, fiscaux, liés aux placements ou autres, et ne doivent pas servir de fondements à de tels conseils. Il ne s’agit pas d’une invitation à acheter ou négocier des titres. Beutel, Goodman & Company Ltée ne cautionne ni ne recommande les titres dont il est question ici.

 Je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui dans le cadre de cet entretien portant sur divers sujets concernant les titres à revenu fixe, auquel participent nos conférenciers invités et estimés collègues Derek Brown, vice-président principal et chef, Titres à revenu fixe, et Sue McNamara, vice-présidente principale et chef de l’analyse du crédit.

Après nos échanges sur les trois questions clés, nous prendrons un moment pour répondre à vos questions. Nous vous invitons à les poser dans la boîte à cet effet ci-dessous. Sans plus attendre, Derek, ma première question est pour vous.

 

La Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine ont toutes deux entamé leur cycle de réduction des taux d’intérêt. Comment les marchés obligataires ont-ils réagi à ce changement de politique monétaire et quelles pourraient être les implications pour les emprunteurs ?

 

Derek Brown: Si vous le permettez, avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais prendre un moment pour préciser les raisons pour lesquelles les taux d’intérêt sont si élevés. Comme la plupart des participants le savent probablement déjà, au sortir de la pandémie, nous avons connu une période de hausse très marquée de l’inflation. La majorité des banques centrales s’attendaient à ce que cet épisode soit temporaire ou transitoire (ce sont les termes qu’elles employaient) et à ce qu’en six à douze mois, les chaînes d’approvisionnement se rétablissent, les prix des produits chutent et l’inflation soit contenue. Eh bien, ce n’est pas ce qui s’est produit. La flambée des prix des produits observée durant la pandémie s’est propagée aux services, ce qui a entraîné une hausse des salaires. Cela a créé un cercle vicieux, la hausse des salaires menant à une hausse des dépenses, qui à son tour a attisé l’inflation. Prises de court, les banques centrales ont été contraintes de hausser les taux d’intérêt. Les taux ont atteint des sommets en 20 à 25 ans, le taux directeur de la Fed atteignant 5,5 % et celui de la Banque du Canada, 5 %, ce qui représente un bond énorme par rapport à des taux presque nuls pour les deux banques au début de l’année 2022.

Et cette situation n’a pas été favorable aux marchés des titres à revenu fixe. Pas plus aux actifs à risque. En 2022, les banques centrales ont adopté une approche radicale et douloureuse en matière de taux d’intérêt pour tenter de rattraper une situation qui leur échappait. Des taux très élevés freinent la demande, de sorte que les gens dépensent moins, empruntent moins et achètent moins de biens immobiliers. C’est la logique derrière des taux d’intérêt élevés. Ceux-ci compriment la demande pendant un certain temps, ce qui a fait reculer l’inflation et baisser les prix des produits. En fait, on observe aujourd’hui une déflation, qui touche notamment le prix des automobiles et se répand aussi au secteur tertiaire. Au Canada, le taux d’inflation de base se situe aux alentours de 2 %. L’inflation est un peu plus marquée aux États-Unis, disons à 2,5 %, mais ce taux se rapproche de la cible de 2 % de la Fed. Ces circonstances ont permis aux banques centrales, un peu partout dans le monde et notamment au Canada et aux États-Unis, d’abaisser les taux d’intérêt dès cet été. À ce jour, la Banque du Canada a réduit son taux directeur de 125 points de base, soit une baisse de 1,25 %, pour le fixer à 3,75 %.

La Fed vient de réduire son taux directeur, l’abaissant d’un coup de 50 points de base en septembre, probablement parce qu’elle aurait dû s’y atteler plus tôt, pour le fixer à 5 %. Les baisses des taux devraient se poursuivre jusqu’à l’année prochaine et les valorisations des marchés obligataires tiennent déjà compte de ce scénario. Nous devons communiquer cette information à nos clients; souvent, lorsque les banques centrales commencent à réduire leurs taux, ils pensent que les rendements obligataires vont s’effondrer, alors qu’en fait, les marchés obligataires intègrent déjà l’incidence de baisses de taux dans leurs valorisations. Au pays, la Banque du Canada fixe son taux directeur dans une fourchette de 2,50 % à 2,75 %. Aux États-Unis, le taux directeur de la Fed est d’environ 3,75 %. Ça change presque tous les jours. Le taux directeur de la Fed fluctue souvent ces temps-ci, mais disons qu’il est à peu près de 3,75 %. C’est vers la fin d’octobre [2024] que les banques feront le point sur l’évolution des taux. Nous sommes d’avis que le taux directeur aux États-Unis est adéquat, mais qu’au Canada, la Banque du Canada devra vraisemblablement le réduire encore un peu plus, probablement autour de 2,25 % et peut-être même un peu en deçà, selon l’évolution de la croissance économique dans les douze prochains mois environ.

Il y a donc peut-être encore un peu de chemin à faire au Canada, contrairement aux États-Unis où on devrait s’attendre à peu de mouvement sur le plan des rendements obligataires. Qu’est-ce que cela signifie pour les emprunteurs? Eh bien, puisque les marchés obligataires tiennent déjà compte d’une baisse des taux dans leurs valorisations, la plupart des gens n’empruntent pas au taux directeur de la Banque du Canada ou de la Fed : ils empruntent aux taux des marchés obligataires. Pensez à un prêt hypothécaire de cinq ans; au Canada, le taux d’un tel prêt est déterminé en fonction du rendement des obligations du gouvernement du Canada de cinq ans, auquel s’ajoutent des coûts de financement bancaire et une légère marge de profit pour la banque. Pour vous donner une idée, les coûts de financement bancaire ou de financement des titres de créance de premier rang des banques se situent aux alentours de 4,25 %. Lorsque les taux de prêt hypothécaire de quatre ou cinq ans s’établissent dans une fourchette de 4,25 % à 4,5 %, c’est déjà signe d’une prise en compte de baisses de taux d’intérêt importantes de la Banque du Canada. Même si nous anticipons que les taux continueront probablement de baisser au cours des prochains mois, les taux des prêts hypothécaires de cinq ans au Canada ne devraient guère descendre sous la barre des 4 %, glissant au plus jusqu’à 3,75 %.

Ce contexte devrait être favorable aux emprunteurs, mais peut-être pas autant que le prévoient bon nombre d’observateurs. À mon avis, il faut aussi tenir compte du profil des emprunteurs hypothécaires. On estime qu’environ 35 % des Canadiens ont un prêt hypothécaire, 35 % louent un logement et 30 % ont entièrement payé leur hypothèque. Des 35 % des Canadiens qui ont un prêt hypothécaire, seulement 15 % ont un prêt à taux variable. Lorsque la Banque du Canada abaisse son taux directeur, ils en profitent. Un autre 15 % ont un prêt hypothécaire à taux variable dont les versements sont fixes. Les fluctuations du taux directeur n’ont aucune incidence sur les versements mensuels de ces emprunteurs; seule la période d’amortissement de leur prêt est prolongée. Ces emprunteurs verront leur période d’amortissement diminuer à mesure que les taux d’intérêt baissent, sans toutefois profiter d’une réduction de leurs versements mensuels. Enfin, les 70 % restants ont des prêts hypothécaires à taux fixe; ils ne tirent actuellement aucun avantage des baisses de taux de la Banque du Canada. Même s’ils renouvellent leur prêt hypothécaire durant la prochaine année, ils verront leurs versements hypothécaires augmenter d’environ 20 %, et ce, malgré les taux en baisse. En dépit de l’effet stimulant de la baisse des taux d’intérêt, les gens devront composer avec une hausse du coût de leur hypothèque et des coûts d’emprunt sur leurs cartes de crédit ou leurs lignes de crédit.

Donc oui, on observe un effet de relance par rapport à l’an dernier, mais comparativement aux taux auxquels les gens ont verrouillé leurs prêts hypothécaires il y a 2 ou 3 ans, les taux actuels devraient entraîner une hausse des montants des versements mensuels, à moins que les baisses de taux futures soient nettement plus importantes que prévu, ce qui nous étonnerait. En somme, le point que nous cherchons à faire valoir est que les emprunteurs, même si la baisse des taux leur est favorable, verront le montant de leurs versements hypothécaires augmenter, ce qui devrait museler les dépenses de consommation au cours des deux prochaines années. C’est pourquoi nous sommes un peu plus pessimistes, en fait nettement plus pessimistes, à l’égard de l’économie canadienne qu’envers celle des États-Unis, où les consommateurs peuvent obtenir des prêts hypothécaires à taux fixe de 30 ans et ainsi éviter des hausses douloureuses de leurs versements. C’est une différence importante. Bref, oui, la conjoncture est favorable aux emprunteurs, mais peut-être pas autant que bien des gens le pensent.

Marcia Wisniewski : Merci Derek. Les taux d’intérêt peuvent influer sur de nombreuses facettes de l’économie et des marchés, et leurs répercussions peuvent être très difficiles à prévoir. Je vous remercie pour votre explication détaillée à ce sujet.

La prochaine question est pour Sue.

 

Dans le contexte de l’assouplissement des banques centrales et du ralentissement des économies au Canada et aux États-Unis, comment les écarts de crédit pourraient-ils être affectés ?

 

Sue McNamara : Très bien. Merci. Jusqu’à présent, l’année est propice aux écarts de taux. Les écarts de taux des titres de catégorie investissement au Canada et aux États-Unis sont respectivement de 22 et 17 points de base. Les écarts de taux des titres à rendement élevé sont encore plus minces, à environ 44 points de base depuis le début de l’année. Et c’est logique vu le contexte de la majeure partie de l’année, mais les perspectives économiques risquent de compliquer la donne à l’avenir. Aux États-Unis et au Canada, l’économie est robuste. Les indicateurs en matière d’emploi, d’inflation et de dépenses de consommation corroborent le resserrement des écarts de taux.

La santé financière des entreprises est assez bonne. Les bilans sont robustes. Je crois que beaucoup d’entreprises ont profité de la vigueur économique pour réduire leur endettement et consolider leur bilan. On observe une croissance du BAIIA. Tous ces facteurs favorisent le resserrement des écarts cette année. Je pense que le moment est tout indiqué pour commencer à se projeter dans l’avenir. Les écarts de taux, particulièrement aux États-Unis, frôlent leur point de resserrement ultime. L’expérience montre qu’ils ne devraient pas rester là longtemps.

On peut y voir aussi un avertissement. Au Canada, les écarts de taux ne sont pas à leur plus faible, quoiqu’ils s’y dirigent. Le Canada dispose encore d’une certaine marge de manœuvre et je pense que cela reflète en partie les différences que nous observons entre l’économie américaine et l’économie canadienne. Les banques centrales du Canada et des États-Unis tentent d’orchestrer un atterrissage en douceur ou, mieux, pas d’atterrissage du tout. La Réserve fédérale américaine semble bien positionnée pour y parvenir. La manœuvre pourrait être plus complexe au Canada, notamment en raison de la politique d’immigration annoncée la semaine dernière (Derek abordera le sujet plus en détail à la prochaine question). Les écarts de taux sont serrés, mais je ne suis pas certaine qu’ils continueront de se resserrer. On commence déjà à voir des signes avant-coureurs de fin de cycle de resserrement et l’un des indicateurs que nous suivons de près, le taux d’endettement, bien que contenu, commence à augmenter lentement. Le nombre de fusions et d’acquisitions augmente. Cela peut indiquer que les entreprises « achètent » leur croissance parce qu’elles n’y parviennent pas d’elles-mêmes. Et que l’économie est peut-être en train de s’essouffler.

D’autres phénomènes retiennent notre attention, comme les roulements sectoriels. Sur le marché des titres à revenu fixe, on semble toujours en quête de rendement jusqu’au dernier moment. On remarque ces temps-ci l’émission de titres de secteurs qui devraient être en perte de vitesse, mais qui offrent toujours un rendement élevé, comme des parts de FPI et des titres du secteur des biens de consommation. Fait intéressant à noter, un grand nombre d’entreprises effectuent un premier appel public à l’épargne. Se finançant habituellement auprès des banques, elles courtisent maintenant les marchés obligataires. Pour moi, cette activité sur les marchés des titres à revenu fixe signale que les banques cherchent à protéger leur bilan et refusent de prêter aux entreprises.

Ce sont des perles de sagesse glanées au fil de ma carrière que je vous partage, après avoir traversé plusieurs crises économiques et financières. J’estime que nous avons observé de forts afflux vers les obligations. Les nouvelles émissions se multiplient. Tout cela est favorable au crédit. Je pense que nous devons faire preuve d’une certaine circonspection pour l’avenir et rester sur nos gardes. Nous avons adopté une position défensive en matière de crédit. Et s’il y a une chose que nous savons, c’est que lorsque le marché du crédit se dérègle ou lorsque l’on se retrouve dans une situation comme celle-ci, le risque de crédit est rarement évalué correctement par les marchés.

Les écarts de taux sont étroits. Il y a très peu de différence d’un secteur à l’autre, très peu de distinction entre les obligations à rendement élevé et les obligations de catégorie investissement, et même très peu de différence entre les obligations de catégorie investissement cotées A et celles cotées BBB. Selon moi, cela témoigne du fait que les investisseurs sautent sur toute occasion de rendement et qu’ils croient que les écarts continueront de se resserrer. Mais cette tendance est vouée à s’essouffler et à s’inverser brusquement. Ce genre de revirement survient habituellement lorsqu’un geste ou une décision d’une entreprise déstabilise les marchés et appelle à une réévaluation des risques, ou lorsqu’on observe un fléchissement des indicateurs économiques; un événement déclencheur de cette nature nous pousse à réévaluer comparativement les titres de certaines entreprises ou les titres d’un secteur en particulier pour déterminer s’ils devraient se négocier à des écarts similaires. Nous restons donc à l’affût de signes avant-coureurs d’un revirement sur les marchés. À la suite d’une correction des valorisations en fonction des risques, le phénomène opposé s’observe. Tout le monde a tendance à vendre du crédit, tout le monde sort de la piscine en même temps, et les écarts de crédit s’élargit massivement.

Il faut alors garder la tête froide et surveiller de près la situation, car les écarts de taux versent ensuite dans un excès inverse et, à mesure que les investisseurs réalisent qu’ils ne devraient pas être aussi importants, on assiste à un retour à la normale. C’est un peu dans ce contexte que nous nous trouvons. Un événement pourrait à tout moment provoquer l’élargissement des écarts de taux. C’est pourquoi nous optons pour la prudence et nous préparons à saisir les nombreuses occasions de valeur relative intéressantes lorsqu’elles se présenteront.

Marcia Wisniewski: Merci beaucoup, Sue. Les subtilités du marché obligataire et des écarts de taux sont fascinantes. Je vous remercie pour la clarté de vos explications à ce sujet.

Passons maintenant à la dernière de nos trois questions clés.

 

Quelles sont les principales considérations pour les investisseurs dans un scénario d’atterrissage en douceur ou en force de l’économie ?

 

Derek, si vous le voulez bien, nous feriez-vous part de votre point de vue sur la question?

Derek Brown: Bien sûr. En effet, c’est une question épineuse. Sue l’a évoqué précédemment : les observateurs semblent divisés quant aux chances d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine. Au Canada, à mon avis, un ralentissement contrôlé est moins probable. Je sais que beaucoup de gens pensent que les banques centrales orientent leurs politiques en fonction du risque de récession et des actifs à risque, mais ce n’est pas tout à fait exact. C’est en fait le taux de chômage qui est déterminant. Les investisseurs devraient toujours avoir l’œil sur le marché de l’emploi. En 2023, en Allemagne et au Royaume-Uni, les taux ont augmenté en pleine récession. En 2022, ils ont aussi augmenté aux États-Unis alors que le pays traversait une récession technique. Ce ne sont pas tant les récessions qui mobilisent les banques centrales, mais la montée en flèche du taux de chômage, qui provoque une réaction en chaîne. Si les gens perdent leur emploi, ils dépensent moins d’argent. S’ils dépensent moins, d’autres travailleurs perdent leur emploi. Pensez à une avalanche économique. Et comme l’on sait, le taux de chômage diminue lentement, mais remonte rapidement. C’est véritablement cet indicateur clé qui déterminera si l’atterrissage économique se fera en douceur ou non.

Comme Sue l’a mentionné, le gouvernement canadien a annoncé la semaine dernière un nouveau plan d’immigration visant à stabiliser la croissance démographique au pays. Je comprends la pertinence de ce plan du point de vue des infrastructures. Mais il est impensable de passer d’une croissance démographique de 3 % à une stagnation sans répercussion économique. Et je pense que ce changement de cap politique aura un effet plus prononcé que ce que beaucoup de gens anticipent. La plupart des économistes estiment que ce nouveau plan d’immigration ne fera que freiner légèrement la croissance économique au cours des trois prochaines années, sans conséquence grave. Mais le moment où surviennent des changements dans la croissance démographique est crucial, ne l’oublions pas. En 2025, la croissance sera inférieure à ce qu’elle aurait pu être avec une expansion démographique de 2 %. Cela pourrait contraindre la Banque du Canada à réduire son taux directeur en deçà de son point neutre de 2,75 %.

On dit qu’un taux est neutre lorsqu’il n’a aucune incidence sur l’économie. La Banque du Canada devra mettre en œuvre des mesures de relance, en abaissant probablement les taux d’intérêt à 2,25 %, voire même 2 %. La baisse prévue de la croissance démographique risque de gêner considérablement la croissance économique en 2026. En raison d’une population active réduite, la production économique globale se révélera inférieure aux projections initiales. En théorie, le taux de chômage devrait diminuer plus rapidement et nous devrions sortir de récession plus rapidement, avec un retour au beau fixe en 2026 ou en 2027. Le PIB net sera plus faible que prévu en 2025, puis supérieur aux prévisions en 2026. La majorité des économistes estiment que l’incidence de cette nouvelle politique sera minime, mais du point de vue du marché, ce nouveau plan se traduira par une année 2025 anémique. Certes, la Banque du Canada réagira. Et les cours obligataires devraient remonter. L’évolution des écarts de taux des titres canadiens est toutefois difficile à prévoir. La plupart des actifs à risque sont influencés par la conjoncture américaine, ce qui inclut les obligations de sociétés canadiennes. C’est ce qui explique que les écarts se rapprochent de leur point de resserrement ultime, malgré un taux de chômage de 6,5 % qui pourrait grimper à 7 %.

La Banque du Canada a abaissé récemment son taux directeur de 50 points de base pour stimuler la croissance économique. Cependant, les écarts de taux demeurent très serrés, ce qui reflète la confiance des investisseurs dans la capacité de la Fed à orchestrer un atterrissage économique en douceur aux États-Unis. Le paysage économique aux États-Unis est profondément marqué par le déficit budgétaire colossal du pays, estimé à environ 6 % du PIB. Ce déficit masque des faiblesses qui devraient normalement ébranler l’économie. Et tout semble indiquer que la situation demeurera la même après les élections présidentielles américaines, et ce, peu importe leurs résultats. La performance des actifs à risque est étroitement liée aux conditions économiques des États-Unis, en particulier les fluctuations du taux de chômage. Au Canada, ce sont le taux de chômage et les répercussions du nouveau plan d’immigration qui auront la plus grande incidence sur les taux.

Marcia Wisniewski: Merci Derek. Je sens que nous pourrions continuer d’en discuter pendant bien plus de 30 minutes, mais pour respecter le temps imparti, nous allons maintenant passer à la période de questions.

Nous avons reçu des questions fort intéressantes de la part de nos participants et j’aimerais vous en poser quelques-unes avant de clore notre discussion aujourd’hui.

 

Tout d’abord, abordons la question délicate… des élections présidentielles américaines à venir. Sue, comment l’équipe des titres à revenu fixe et vous envisagez-vous le déroulement de la soirée du 5 novembre?

 

Sue McNamara : Du point de vue des titres à revenu fixe, je pense que l’on se demande surtout si l’on saura rapidement qui a gagné. Parce qu’aux dernières élections présidentielles, l’avance du meneur ne tenait qu’à un fil dans la plupart des États clés. Nous pourrions donc nous retrouver dans une situation similaire, où l’on ne connaît pas l’identité du gagnant le soir de l’élection et où le mystère persiste durant plusieurs semaines, notamment parce qu’on procède toujours au décompte manuel des votes dans certains États. Je dirais que les marchés des titres à revenu fixe et les marchés boursiers se ressemblent, en ce sens qu’ils détestent le vide et l’incertitude. Et si l’on doit attendre deux semaines avant de connaître l’identité du prochain président des États-Unis, cela se répercutera sur les marchés. La liquidité des marchés pourrait s’en trouver réduite, car personne n’aime négocier dans l’incertitude. Je pense que les résultats de ces élections pourraient vraiment bouleverser la donne. On peut aussi se demander qui contrôlera le Congrès, puisque sa mainmise déterminera si le président peut réellement mettre en œuvre son programme.

Du point de vue des titres à revenu fixe, des inquiétudes planent quant à l’autonomie et à la composition de la Réserve fédérale sous une éventuelle administration Trump, qui pourrait choisir de nommer un nouveau président. Nous suivrons la situation de près. Derek l’a évoqué : les déficits budgétaires ont été élevés sous l’administration démocrate. Et ils pourraient le demeurer, peu importe qui l’emporte aux prochaines élections présidentielles. Personne ne semble vouloir aborder la question de l’austérité budgétaire. C’est donc manifestement aussi une source d’inquiétude pour les marchés obligataires. Pour éviter de m’enliser, je préfère ne pas trop m’engager dans la politique partisane. Évidemment, nous suivons de près d’autres enjeux politiques importants, tels que le maintien de l’Inflation Reduction Act (IRA), qui soutient la plupart des activités économiques aux États-Unis. Enfin, si Trump est élu, il faudra prendre le temps d’analyser les tarifs douaniers qu’il a évoqués, d’évaluer s’il est en mesure de les imposer comme il le veut et d’en déterminer l’incidence à long terme sur la relance économique. Mais ça, c’est pour plus tard. À court terme, nous espérons surtout que les élections permettront de déterminer un vainqueur hors de tout doute.

Marcia Wisniewski : Merci, Sue. C’était brave de votre part de donner votre avis sur ce sujet et je vous en remercie. Nous avons aussi des élections à l’horizon au Canada, aux échelons fédéral et provincial, mais pas dans la semaine qui vient.

 

Derek, d’un point de vue de la gestion de portefeuilles à revenu fixe, quelles pourraient être les implications d’élections fédérales canadiennes en 2025 sur les marchés des titres à revenu fixe?

 

Derek Brown : Mon commentaire s’inscrit dans la réflexion de Sue à propos du déficit budgétaire. Habituellement, en période d’élections, on a droit à un budget électoral, qui présente surtout des initiatives du côté des dépenses (qui risquent bien sûr de creuser le déficit budgétaire). Du point de vue des titres à revenu fixe, nous devons nous demander s’il existe une demande suffisante pour financer une nouvelle augmentation de la dette publique, à l’échelon provincial ou fédéral, parce que cela peut influer sur nos rendements et sur les montants que les investisseurs sont prêts à payer pour acquérir des obligations. Après l’annonce de budgets électoraux lors de campagnes récentes, les titres obligataires de certaines provinces, notamment les obligations de la Colombie-Britannique et du Québec, ont vu leurs écarts s’élargir. Cela pourrait aussi se produire à l’échelon fédéral. Le gouvernement fédéral présentera sûrement une mise à jour budgétaire à l’automne, probablement peu substantielle en raison du contexte actuel. Mais je crois qu’une nouvelle mise à jour plus significative sera publiée en mars. Elle devrait proposer davantage d’initiatives que le parti au pouvoir cherchera à mettre de l’avant durant la campagne.

Nous devons considérer l’incidence potentielle de cette mise à jour budgétaire sur les titres à revenu fixe. L’évaluation du processus budgétaire est souvent complexe; rien ne garantit que les propositions d’un budget seront adoptées. Nous ne pouvons pas prendre des décisions fondées sur des propositions budgétaires, comme Sue le mentionnait en parlant des tarifs douaniers aux États-Unis. En théorie, ces propositions pourraient être considérées comme inflationnistes et néfastes à l’économie, mais seront-elles adoptées? Dans ce contexte, la définition d’une stratégie en amont est un véritable casse-tête. Il vaut donc mieux adopter une posture réactive plutôt que de chercher à être proactif. Si certaines propositions sont adoptées au Canada, ce qui est hypothétique, le budget fédéral pourrait gonfler. Comme je le mentionnais, c’est surtout le nouveau projet de politique d’immigration qui nous inquiète; il pourrait être promulgué dès maintenant par le gouvernement au pouvoir, sans l’aval du Parlement. Et comme je le disais, cette politique pourrait considérablement freiner la croissance économique au pays. Ce changement de cap, motivé par des considérations politiques, est radical.

C’est une tactique qui s’inscrit dans une stratégie électorale, tout comme l’annonce du lancement de plans de logement et d’autres initiatives. Certaines de ces propositions aboutiront, d’autres pas. Le défi est de déterminer lesquelles. Le nouveau projet d’immigration en lui-même laisse présager un effondrement démographique. Je ne sais pas si toute le monde veut atteindre cette cible, ni si on le peut. Pour décrire ce projet, « ambitieux » n’est peut-être pas le qualificatif approprié, mais il s’agit assurément d’une stratégie agressive pour réduire la population. Et j’ai des doutes quant à sa faisabilité. Si ce plan de réduction de la population était mis en œuvre sans mesures compensatoires, les conséquences pour l’économie canadienne pourraient être graves. Très graves. Les données montrent que le PIB par habitant recule depuis 18 mois. Maintenant que les décideurs politiques accordent plus d’attention à cet indicateur, ils cherchent à stimuler les dépenses par habitant. Puisque le dénominateur dans le calcul du PIB (la population) augmente moins rapidement lorsqu’on réduit le nombre de nouveaux arrivants, on peut influer sur le calcul du PIB par habitant. Ça se tient et c’est probablement pour cette raison que le gouvernement tient à ce projet.

Mais il faut surtout redonner confiance aux consommateurs pour relancer les dépenses et la croissance économique, et cela passe nécessairement par une baisse des taux d’intérêt ou par des politiques de relance. Que ce soit aux échelons provinciaux ou à l’échelon fédéral, je m’attends à davantage de propositions de relance budgétaire au cours des 6 à 12 prochains mois. Mais ce ne sera peut-être pas suffisant, puisque les effets du plan d’immigration, s’il est adopté tel quel, devraient se faire sentir dès son entrée en vigueur en 2025, soit bien avant la mise en œuvre d’autres mesures de relance éventuelles. Selon nous, on semble sous-estimer l’incidence économique de ce nouveau projet.

Marcia Wisniewski: Eh bien, merci beaucoup, Derek et Sue, d’avoir partagé avec nous vos observations sur les marchés obligataires, les taux d’intérêt, l’économie et même la politique. Je pense que nous avons couvert beaucoup de sujets aujourd’hui. Malheureusement, nous n’avons pas pu aborder toutes les questions que nous avons reçues de la part des participants. Si vous avez une question à poser à l’équipe des titres à revenu fixe, transmettez-la à votre représentant de Beutel Goodman, qui sera heureux de faire un suivi avec vous et notre équipe des obligations.

Vous pouvez également consulter notre site Internet à l’adresse beutelgoodman.com, où vous trouverez des livres blancs, des articles Perspectives et des webinaires enregistrés précédemment portant sur différents thèmes de placements, notamment les titres à revenu fixe. Merci d’avoir été des nôtres; je vous souhaite une excellente journée!

 

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