Un mois de juillet tranquille pour les émissions de titres d’emprunt


29 août 2022

Le marché primaire des émissions d’obligations tourne généralement au ralenti pendant l’été, et le mois de juillet dernier n’a pas fait exception. En effet, seulement six émissions d’obligations de sociétés de catégorie investissement ont eu lieu au Canada en juillet, pour un montant total de 5,85 milliards de dollars. Dans l’ensemble, une émission à rendement élevé et une émission titrisée ont porté le nombre total d’émissions de juillet à six et le volume du marché primaire à environ 6,2 milliards de dollars. Ce chiffre est nettement inférieur à la moyenne décennale du volume d’émissions pour le mois de juillet, qui est d’environ 7,4 milliards de dollars.

Aux États-Unis, les émissions des sociétés de catégorie investissement ont augmenté de 17 % par rapport à l’année précédente, pour atteindre un total de 93 milliards de dollars américains. En revanche, les émissions d’obligations à rendement élevé ont été peu nombreuses, avec un total de 1,8 milliard de dollars américains, ce qui représente une baisse de 94 % par rapport à l’année précédente. Dans le cadre du ralentissement estival des nouvelles émissions, deux anomalies ont retenu l’attention et méritent qu’on s’y arrête : premièrement, au Canada, les émissions massives des banques canadiennes et, deuxièmement, la rareté des émissions d’obligations à rendement élevé de sociétés aux États-Unis.

Les banques canadiennes ouvrent leurs vannes

En juillet, alors que les émissions sur le marché primaire étaient en baisse par rapport à l’année précédente, la situation était tout autre pour les banques canadiennes. Les obligations émises à l’échelle mondiale par les banques canadiennes entre le début de l’année et la fin du mois de juillet se sont élevées à environ 185 milliards de dollars, ce qui représente approximativement 1,5 fois leurs émissions annuelles habituelles.

Au Canada, les émissions du secteur des services financiers représentent 86 % des émissions totales de juillet et 93 % des émissions d’obligations de catégorie investissement de juillet. Depuis le début de l’année, les émissions du secteur des services financiers sur le marché intérieur s’élèvent à environ 42 milliards de dollars, ce qui représente environ 60 % du volume total des nouvelles émissions. Pour mettre cela en perspective, mentionnons que les émissions des banques sur le marché intérieur depuis le début de l’année sont supérieures à celles qu’elles ont effectuées au Canada au cours de chacune des quatre dernières années complètes. De plus, ces émissions ont touché à toutes les composantes de la structure du capital des banques, y compris les billets de dépôt admissibles à la recapitalisation interne, les billets de capital à recours limité, les fonds propres d’urgence en cas de non-viabilité et les actions privilégiées institutionnelles, et l’échéance qui a été privilégiée pour ces composantes a été dans la portion des obligations à cinq ans de la courbe.

L’augmentation des émissions des banques en 2022 contraste avec la situation observée dans tous les autres secteurs, ce qui a perturbé le marché des obligations de sociétés canadiennes. Dans ce contexte, la portion des obligations à cinq ans des banques sur la courbe est devenue artificiellement importante par rapport à d’autres secteurs défensifs, comme les services publics, car le marché a de la difficulté à digérer l’offre. D’une manière générale, les nouvelles émissions sur les marchés où règne un certain degré d’incertitude et où les banques centrales procèdent à des tours de vis monétaire subissent un effet négatif. Ce contexte incertain incite en effet les sociétés investisseuses à demander un escompte supplémentaire sur les nouvelles émissions, et l’écart de taux d’une nouvelle émission d’une société devient supérieur aux écarts de taux de ses émissions existantes. L’investisseur demande alors une compensation pour le risque supplémentaire perçu qu’il assume sur des marchés plus volatils. Les escomptes sur les nouvelles émissions ont tendance à entraîner une réévaluation du risque, non seulement pour l’émetteur, mais souvent pour tous les secteurs d’activité.

 

Les écarts de taux des titres des banques canadiennes demeurent élevés

Les titres d’emprunt les plus fréquemment émis par les banques sont les titres admissibles à la recapitalisation interne à cinq ans (titres non garantis de premier rang) et les écarts de taux de ces titres se sont accentués d’environ 74 points de base depuis le début de l’année (source : BMO Sapphire). En comparaison, l’écart de l’indice Bloomberg Canada Aggregate Corporate (écart ajusté en fonction des options) a augmenté d’environ 50 points de base depuis le début de l’année. En plus d’afficher un rendement inférieur à l’indice générique des obligations de sociétés canadiennes d’environ 25 points de base, les titres des banques canadiennes ont également moins bien performé que ceux d’autres secteurs défensifs, tels que les services publics et les télécommunications, comme l’illustre le tableau ci-dessous (image 1). Les écarts des titres admissibles à la recapitalisation interne des banques se sont élargis de 74 points de base depuis le début de l’année, tandis que les écarts des titres obligataires des services publics et des télécommunications n’ont augmenté que de 54 points de base et de 36 points de base respectivement depuis le début de l’année. La principale raison expliquant cette différence de rendement est l’émission disproportionnée de titres d’emprunt par les banques au cours de cette période; en effet, chaque opération bancaire successive est généralement arrivée sur le marché avec (i) un écart de taux plus important et (ii) un escompte par rapport aux titres admissibles à la recapitalisation interne précédents.

 

Image 1 : Écarts de taux à échéance constante de cinq ans

Ce tableau présente les écarts de taux de cinq ans au Canada depuis le début de l’année et montre que l’augmentation des émissions par les banques canadiennes a entraîné des écarts de taux plus importants que ceux enregistrés dans d’autres secteurs défensifs, comme les services publics et les télécommunications.

Secteur Niveau actuel (points de base) Variation de l’écart depuis le début de l’année (points de base)
Recapitalisation interne des banques canadiennes 163 74
Fonds propres d’urgence en cas de non-viabilité des banques canadiennes 216 100
Obligations « feuille d’érable » – secteur financier* 193 84
Services publics 100 54
Télécommunications 159 36

* (Émetteur étranger de titres en dollars canadiens du secteur des services financiers)

Source : BMO Sapphire, données au 31/07/2022

 

Perturbations des rendements globaux

Les perturbations des écarts des titres des banques se répercutent sur le reste du marché canadien. La pondération des services financiers dans l’indice obligataire global FTSE Canada , qui est de 10 % (34 % de l’indice obligataire toutes les sociétés FTSE Canada), est importante, et les six grandes banques canadiennes représentent 64 % de la pondération totale des services financiers. Une variation marquée des écarts de taux d’un secteur ayant une pondération aussi importante a une incidence sur tous les autres secteurs inclus dans l’indice, d’autant plus que les billets admissibles à la recapitalisation interne des banques sont généralement considérés comme la référence pour les obligations liquides de haute qualité, ce qui signifie que les obligations des autres secteurs se négocient habituellement à un écart de taux plus important que celui de ces billets, qui appartiennent au niveau supérieur de la structure du capital des banques.

Outre l’élargissement des écarts de taux pour les banques depuis le début de l’année, la courbe de rendement au Canada s’est inversée, ce qui a entraîné les récentes perturbations des rendements globaux. Le graphique ci-dessous (image 2) présente le rendement global des titres de créance bancaires admissibles à la recapitalisation interne à cinq ans à échéance constante par rapport au rendement global des obligations des services publics à 30 ans – un secteur qui est également considéré comme extrêmement stable, mais dont les émissions sont orientées vers le long terme. Aux niveaux actuels, un investisseur pourrait acheter des billets de dépôt admissibles à la recapitalisation interne à cinq ans d’une banque à un rendement plus élevé que celui des titres de créance des services publics à 30 ans. Cette situation peut sembler contre-intuitive, car les investisseurs devraient obtenir une compensation pour le risque lié à la duration, mais elle confirme la distorsion créée par l’élargissement des écarts de taux des banques et l’inversion de la courbe.

 

Image 2 : Rendements globaux – titres de créance admissibles à la recapitalisation interne à 5 ans par rapport aux titres de créance des services publics à 30 ans (en %)

Ce graphique linéaire présente une comparaison des rendements entre les banques canadiennes et les services publics. À l’heure actuelle, un investisseur pourrait acheter des billets de dépôt admissibles à la recapitalisation interne à cinq ans à un rendement plus élevé que celui des titres de créance des services publics à 30 ans, malgré le risque accru lié à la duration qui est associé aux titres à longue échéance des services publics.

Ce graphique linéaire présente une comparaison des rendements entre les banques canadiennes et les services publics. À l’heure actuelle, un investisseur pourrait acheter des billets de dépôt admissibles à la recapitalisation interne à cinq ans à un rendement plus élevé que celui des titres de créance des services publics à 30 ans, malgré le risque accru lié à la duration qui est associé aux titres à longue échéance des services publics.

Source : BMO Sapphire, données au 05/08/2022

 

Pour lutter contre l’inflation élevée et persistante, les banques centrales continuent de relever les taux de financement à un jour dans le but de freiner la demande dans l’ensemble de l’économie. Un ralentissement de l’économie pourrait d’abord être bénéfique pour les écarts canadiens, car une réduction de la demande des consommateurs devrait se traduire par une baisse de la croissance du crédit bancaire. Une telle baisse devrait ralentir les émissions des banques et permettre aux écarts de se normaliser. Pour ce qui est de l’avenir, nous continuons de voir de la valeur dans les titres de créance de sociétés à court terme et nous préférons les banques canadiennes aux émetteurs plus cycliques. De plus, nous nous attendons à ce que les écarts de taux des titres de crédit de premier rang des banques et ceux des obligations de sociétés des autres secteurs se normalisent si les émissions des banques diminuent pour le reste de l’année.

 

Émissions à rendement élevé aux États-Unis

Si le marché canadien des titres à revenu fixe a enregistré un nombre élevé d’émissions bancaires depuis le début de 2022, c’est l’atrophie des émissions qui a marqué le marché américain des titres à revenu fixe.

C’est notamment le cas pour les obligations à rendement élevé où le volume des nouvelles émissions pour les sept premiers mois de l’année s’élève à 82 milliards de dollars américains, ce qui représente une baisse approximative de 78 % et de 67 % par rapport à la même période en 2021 et en 2020 respectivement. Si cette tendance se poursuit, l’activité des obligations à rendement élevé sur le marché primaire aux États-Unis pourrait se situer en dessous des 150 milliards de dollars américains en 2022, ce qui représenterait le plus faible volume d’émissions dans une année civile depuis la crise financière mondiale (2008) et serait inférieur à la moyenne des cinq années précédant la COVID-19 d’environ 290 milliards de dollars américains.

Nous estimons que plusieurs facteurs importants influencent l’activité des obligations à rendement élevé sur le marché primaire depuis le début de l’année, mais ils ne sont pas tous nécessairement négatifs pour la catégorie d’actifs. La volatilité élevée des marchés et l’augmentation des coûts d’emprunt ont beaucoup contribué à l’atonie des émissions. Ce contexte incertain signifie également que la plupart des émetteurs évaluent les nouvelles opérations potentielles en profitant d’une position de force, qu’ils ont acquise après avoir tiré parti des contextes favorables de 2020 et de 2021 en refinançant de manière opportuniste des titres à court ou moyen terme rachetables afin de réorganiser leurs échéances. D’ici à la fin de l’année 2024, seulement 129 milliards de dollars américains de titres à rendement élevé devraient arriver à échéance, ce qui représente moins de 10 % du marché en général. Le pic des échéances a maintenant été repoussé à 2029.

À notre avis, les émetteurs sont plus solides aujourd’hui du point de vue des fondamentaux, les ratios de levier financier net et les ratios de couverture des intérêts s’étant nettement redressés au cours des 18 derniers mois (voir l’image 3). À la suite de l’amélioration des bilans, un certain nombre d’émetteurs plus importants qui auraient autrement émis des obligations à rendement élevé sont devenus des émetteurs d’obligations de catégorie investissement (on les appelle les « étoiles montantes »), et leurs émissions ont eu lieu cette année sur le marché des titres de catégorie investissement, accentuant ainsi le manque d’offre sur le marché des obligations à rendement élevé.

 

Image 3 : Variation dans le temps du levier net et du ratio de couverture des intérêts

Ce graphique linéaire illustre la variation dans le temps du levier net et du ratio de couverture des intérêts des émetteurs d’obligations à rendement élevé aux États-Unis.

Source: BofA Global Research – “HY Credit Chartbook: July”. Données au 31/07/2022

 

De plus, les soldes de trésorerie demeurent élevés dans de nombreux secteurs et pour les émetteurs d’obligations à rendement élevé en général, ce qui offre une marge de manœuvre et un soutien supplémentaires à ceux qui envisagent d’effectuer de nouvelles opérations obligataires (voir l’image 4).

 

Image 4 : Soldes de trésorerie en fonction du secteur par rapport aux moyennes à long terme

Ce tableau présente les soldes de trésorerie en fonction du secteur par rapport aux moyennes à long terme. Les données montrent que les soldes de trésorerie se situent à des sommets historiques dans certains secteurs, notamment les transports et les services publics.

Secteur Soldes de trésorerie (M$ US)
T1 2022 Moyenne à long terme Variation
Automobile 287,0 470,1 -183,1
Industrie de base 274,5 202,0 72,5
Biens d’équipement 218,4 168,8 49,6
Biens de consommation 192,8 106,0 86,8
Énergie 66,9 68,3 -1,4
Soins de santé 369,9 256,0 113,9
Loisirs 584,3 226,1 358,2
Médias 223,9 81,8 142,1
Commerce de détail 227,4 182,0 45,4
Services 351,8 198,8 153,0
Technologie et électronique 640,5 551,8 88,7
Télécommunications 327,9 328,6 -0,7
Transports 9 371,5 1 236,9 8 134,6
Services publics 1 056,0 590,0 466,0

Source : CreditSights, « HY Liquidity Needs: 13 to Watch », publié le 25/07/2022

Selon nos analyses, seuls 13 émetteurs ont des échéances importantes ou des besoins de trésorerie significatifs jusqu’en 2024, et la majorité d’entre eux sont des sociétés de haute qualité cotées BB. En l’absence d’une récession profonde et longue, ce qui n’est pas notre scénario de référence actuel, nous prévoyons que les taux de défaillance resteront relativement faibles par rapport aux normes historiques dans les années à venir. Les obligations CCC, qui sont généralement émises par des sociétés de qualité inférieure présentant le risque le plus élevé de défaillance, ne représentent que 10 % des obligations cumulatives devant arriver à échéance en 2023 et en 2024.

 

Les émetteurs américains s’arment de patience

Compte tenu de la traditionnelle pause estivale du mois d’août, les volumes des émissions américaines devraient rester à des niveaux modérés jusqu’à la fin de semaine de la fête du Travail et ensuite augmenter jusqu’à la fin de l’année. Le calendrier prospectif américain prévoit actuellement des émissions d’obligations liées aux fusions et acquisitions d’un montant de 25,5 milliards de dollars américains1, et nous nous attendons à ce qu’un certain nombre de ces opérations soient lancées en septembre si les conditions du marché demeurent favorables. Les besoins de financement pourraient également augmenter si les fusions et acquisitions financées par emprunt s’accélèrent. Toutefois, comme les refinancements ne seront probablement pas rentables dans un avenir prévisible, nous continuons à penser que les émetteurs opportunistes qui ont accès à d’autres sources de financement, comme des marges de crédit, ou qui disposent de liquidités au bilan, maintiendront le statu quo jusqu’à ce que le contexte macroéconomique et l’orientation de la Réserve fédérale américaine soient plus clairs.

 

[1] Morgan Stanley, Leveraged Finance Market Update (semaine se terminant le 5 août 2022)

 

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